La chute de Kadhafi rend la démocratisation algérienne inéluctable

Le politologue Hasni Abidi, spécialiste de la Libye et auteur du «Manifeste des arabes», explique pourquoi le départ de Kadhafi va contraindre le régime algérien à la démocratie. Interview

SlateAfrique - Le processus électoral peut-il amener une «vague verte» comme en Algérie lors des législatives de 1991?

H.A - Il y a moins de crainte pour la Libye de par sa composition sociale. C’est une société foncièrement tribale. Les tribus ne sont pas limitées géographiquement. Elles ont des liens entre elles. Les islamistes ne peuvent que se greffer sur cette réalité sociale. En attendant que les appartenances tribales deviennent des appartenances idéologiques.

C’est là que les islamistes auront leur mot à dire dans cette nouvelle configuration politique. Il est trop tôt pour parler d’une catégorisation de la société libyenne: pour dire quel serait le poids des différentes composantes des laïcs, des monarchistes et des islamistes.

SlateAfrique – La chute de Kadhafi peut-elle entraîner une relance du printemps arabe?

H.A - Bien sûr, c’était le morceau le plus dur. On a commencé par le plus facile: la Tunisie, puis on a fait le plus dur, la Libye. Le premier message c’est en direction de la Syrie. Mais arriver à chasser un homme qui est resté 42 ans au pouvoir et qui dispose d’un matelas de devise unique au monde, qui bénéficie d’un soutien de l’Occident et qui n’a pas de problèmes à ses frontières, je crois que c’est vraiment une expérience inédite qui ne peut que renforcer la détermination d’autres pays arabes à pousser au changement de régime.

Mais cela dit, la Libye ne peut pas se permettre de ne pas apaiser ses relations avec des pays importants, je pense notamment à l’Algérie. L’Algérie a des soucis à se faire en cas de période de transition. De même que le Maroc qui commence une mutation lente, pédagogique. La situation est délicate pour l’Algérie. Délicate parce qu’elle a déjà entamé un processus qui n’a pas marché, qui n’a pas réussi. Surtout que l’Algérie, maintenant, va perdre un peu de sa brillance, de son attractivité. Ses atouts: le pétrole, le gaz, sa proximité avec l’Europe, on peut les trouver aussi en Libye, un pays désormais ami. L’Algérie est exposée. Voilà pourquoi elle a beaucoup de soucis à se faire.

L'Algérie, la prochaine étape du printemps arabe?

SlateAfrique - L’Algérie va-t-elle mener des réformes?

H.A - D’abord, sa première décision sera de reconnaître le CNT. Les dirigeants algériens attendent juste de trouver la bonne mise en scène et comment l’orchestrer. Accélérer le mouvement des réformes qui a été annoncé par le président Abdelaziz Bouteflika. Le pouvoir algérien va insister sur la singularité de la voie algérienne pour ne pas être montré du doigt et laisser dire que l’Algérie reste atypique. C'est un mauvais départ pour l’Algérie.
 

SlateAfrique - Peut-on s’attendre à des manifestations de la jeunesse algérienne?

H.A – Toutes les conditions économiques et sociales sont réunies en Algérie même si le régime a anticipé cette fronde sociale. Mais vouloir acheter la paix sociale en dépensant des milliards est une solution provisoire. Seul un changement dans le personnel politique peut permettre une réelle réforme. L’Algérie possède le personnel politique le plus périmé dans le monde.

Il faut un changement politique. C’est-à-dire un changement constitutionnel. On ne peut pas confier la réforme à des gens du passé. La classe dirigeante ne peut pas compter indéfiniment sur ses soutiens à l’étranger.

SlateAfrique - Au-delà du rajeunissement des dirigeants, quels changements de fond sont envisageables?

H.A - Les généraux ont commencé à lâcher du pouvoir. Les généraux connus ne sont plus là. Le problème, c’est que le régime a réussi à se régénérer. Ce qu’il faudrait c’est un changement réel pour que les scrutins ne soient pas des élections de cooptation. Il faut des hommes hors sérail. L’Algérie a besoin d’un véritable changement. Et que l’armée redevienne véritablement professionnelle. Que ce ne soit plus celle qui dépose, qui fait et défait les chefs d’Etat et de gouvernement.

Le partage des richesses n’est pas suffisant. Il peut servir à quelques personnes mais est-ce que la population algérienne le souhaite? Le seul partage acceptable, c’est à travers les urnes. La seule réponse satisfaisante c’est une démocratisation. Cela ne veut pas dire que l’on va prendre le même chemin que la Tunisie ou que l’Egypte. Chaque pays est tout à fait différent. C’est très important d’insister sur l’approche différente de chaque pays. L’essentiel c’est de commencer ce processus.

Donc l’Algérie doit absolument se mettre à l’œuvre et chercher sa voie propre dans le vrai changement. Ce n’est plus simplement une question de partage des richesses, mais de changement de cap. Je crois que les Algériens ne vont pas accepter que le prochain candidat à la présidentielle soit imposé par l’armée ou qu’il lui soit redevable.

Propos recueillis par Pierre Cherruau
suite sur : http://www.slateafrique.com/31733/kadhafi-libye-cnt-islamistes-algerie-bouteflika-printemps-arabe
 
Un pays rassemble des nationaux qui s'organisent pour vivre ensemble: ils désignent un gouvernement et mettent des Administrations en place.

Puis.....puis.....

Je ne vois pas pourquoi certains citoyens, parce qu'ils sont ceci ou cela, auraient le droit de prendre des décisions ensemble ou pourquoi certains citoyens disposeraient de plus de pouvoirs/droits que les autres .....

D'où la nécessité de prendre l'avis de tous régulièrement (on ne peut pas demander l'avis de tous avant de prendre toute décision).

Des élections libres ouvertes à tous les citoyens organisées régulièrement et périodiquement.....

C'est la base de la démocratie. :)
 
Intéressant et pertinent. d'une manière générale, la démocratisation est inéluctable, peu importe le système national africain. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la force des pro-régime algériens, que ceux-ci soient payés par le régime ou qu'ils soient des supporters honnêtes du régime Bouteflika.
 

Greedy

I like it
Un pays rassemble des nationaux qui s'organisent pour vivre ensemble: ils désignent un gouvernement et mettent des Administrations en place.

Puis.....puis.....

Je ne vois pas pourquoi certains citoyens, parce qu'ils sont ceci ou cela, auraient le droit de prendre des décisions ensemble ou pourquoi certains citoyens disposeraient de plus de pouvoirs/droits que les autres .....

D'où la nécessité de prendre l'avis de tous régulièrement (on ne peut pas demander l'avis de tous avant de prendre toute décision).

Des élections libres ouvertes à tous les citoyens organisées régulièrement et périodiquement.....

C'est la base de la démocratie. :)

Ta sagesse est sublime.
 
Une autre caractéristique des démocraties, c'est le changement d'équipes dirigeantes (résultat des élections)

Si on se plaint que l'équipe qui dirige l'Algérie est au pouvoir depuis trop longtemps ce n'est pas pour la remplacer par une autre équipe qui confisquerait le pouvoir.

En Iran, par exemple, ils ont tout un système démocratique présidé par Aminedjab (???) avec au-dessus une équipe de religieux, et un Guide Suprême, tout puissants qui disposent de leur propre armée et peut-être même de leur propre police non soumises au régime démocratique.
 
ce qui s'annonce avec les islamistes qui déferlent est inquiétant et ne prédit aucune démocratie

ABBASI Madani, ex dirigeant du FIS qui séjourne au Qatar a félicité le CNT pour sa prise de Tripoli. Le vieil homme lui même se trompe. De son temps, élu librement et en toute démocratie par les Algériens, il avait eu en CHADLI un interlocuteur honnête en qui il avait eu confiance. Le Président devait l'associer au gouvernement. Les Français en décidèrent autrement et poussèrent à la guerre civile. Et que voit -on maintenant ? Les mêmes européens qui soutiennent le Qatar et les Américains pour pousser à la révolte les mêmes islamistes qui cette fois n'ont ni leader ni programme. Un seul slogan : au nom de Dieu et une seule revendication couper le cou des dirigeants. Une fois la violence installée une nouvelle dicature s'en suivra, avec beaucoup de sang, comme en Irak et le pays aux mains des occupants.
 
Haut