La fabuleuse histoire des drapeaux marocains

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La fabuleuse histoire des drapeaux marocains​

Blanc, noir, rouge, rouge et vert…L'étendard du Maroc a changé à plusieurs reprises, au gré des « Games of Thrones » qui ont secoué le royaume, avant d'être fixé définitivement, il y a précisément un siècle, par Lyautey. Histoire.


Pourquoi le drapeau marocain est-il rouge et vert ? L’historien Nabil Mouline apporte son éclairage : « Il existe deux drapeaux au Maroc. Un drapeau national avec une étoile verte en pentagramme sur fond rouge, et un second, de couleur verte, frappé d’une étoile dorée qui est l’emblème des Alaouites. » Il suffit de bien scruter le cérémonial royal pour s’en apercevoir. À chaque fois que le monarque passe en revue la Garde royale, il s’incline devant le drapeau dynastique. Mohammed V fait hisser pour la première fois le drapeau rouge et vert en 1947, dans l’un des pavillons du palais royal de Rabat, suite à son discours de Tanger. « Même si le sultan Moulay Youssef a signé, sous la pression du protectorat, le dahir instituant le drapeau rouge et vert, la maison alaouite a toujours cherché a s’en distinguer. Quand le sultan Mohammed V constate que le mouvement national s’est approprié ce drapeau, il en fait l’étendard officiel de l’État tout en sauvegardant le drapeau dynastique », explique Nabil Mouline.

Abdelkrim El Khattabi
L’étendard éphémère du Rif


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À partir de 1920, dans le Nord sous occupation espagnole, la guerre de pacification fait rage. Dans les montagnes accidentées du Rif, les guérilleros de Mohamed Abdelkrim El Khattabi harcèlent l’armée espagnole et remportent des victoires éclatantes, notamment la bataille d’Anoual, en 1921. Étendant son autorité sur une bonne partie des montagnes du Rif, Le chef de l’insurection adopte un drapeau rouge, d’inspiration ottomane, frappé d’un carré blanc, lui-même orné d’un croissant et d’une étoile à six branches. Autoproclamé émir, Abdelkrim El Khattabi joue sur le sentiment de rejet religieux pour mener la guerre contre l’Espagne et la France. Il est écrasé par l’armée franco-espagnole en 1925, forte de 400 000 hommes, et dotée d’une aviation et d’une artillerie fortes. L’émir éphémère du Rif est exilé un an plus tard. Lorsque Mohammed V, âgé alors de 18 ans, monte sur le trône en 1927, le drapeau rouge avec l’étoile verte flotte, de nouveau, dans toutes les régions du royaume.
 
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Pendant les premiers siècles, les sultans marocains se plaçaient sous la bénédiction des califes omeyyades ou abbassides.


De Bagdad à Marrakech​

Tous les vexillologues — ces historiens qui étudient l’histoire des drapeaux — sont unanimes : il n’existe aucune trace d’un étendard connu au Maroc avant le XIe siècle. Il faut remonter à l’ère du sultan Youssef Ibn Tachfin (1009-1106), fondateur de la dynastie des Almoravides, pour trouver la première trace d’un étandard officiel du royaume. Dans sa quête de légitimation du pouvoir, qu’il étend du Sahara à la péninsule ibérique, et pour obtenir le soutien des oulémas orthodoxes, Ibn Tachfin se place sous la bénédiction du calife de Bagdad, Abu-Jaâfr Al-Qâim bi-amr Allah, le chef honoris causa de Dar al Islam. Il adopte le drapeau noir, signe de puissance des Abbassides, officiellement maîtres du monde musulman, à l’exception, notable, de l’Andalousie. « Le Maroc ne disposait pas de tradition bien ancrée dans l’art de la symbolique et les apparats du pouvoir », rappèlle Nabil Mouline.
Vers 1097, dans les confins de l’Anti-Atlas, naît un dénommé Mohamed Ibn Toumert. D’une curiosité précoce, il voyage en Orient et s’installe à Bagdad, où il s’abreuve d’une lecture rigoriste de l’islam. Au fil des années, il bricole une nouvelle doctrine, légèrement inspirée du chiisme, visant à établir un nouveau califat dans le monde musulman. De retour au Maroc, ses positions heurtent les oulémas de la cour de Marrakech. Fort de l’appui d’une confédération de tribus de l’Atlas agacée par l’arrogance, jugée décadente, des Almoravides, Ibn Toumert, devenu El Mehdi, à cause de son messianisme autoproclamé, fomente une révolte, et lance les premiers assauts contre Marrakech. Ibn Toumart décède en 1130. Son disciple et successeur, Abd al-Mumin écrase la dynastie des Almoravides, en 1147, avant de s’étendre à l’Est et vers l’Andalousie. L’étendard de la jeune dynastie des Almohades devient blanc, la couleur des Omeyyades. « C’est à partir de cette date que la couleur blanche devient le signe extérieur du deuil et des fêtes au Maroc, contrairement aux Orientaux qui conservent la couleur noire », précise l’historien.

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L'adoption de l'emblème noir par la dynastie des Almoravides, est un acte d'allégeance au Calife abbasside de Bagdad.
 
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L’étendard de la jeune dynastie des Almohades devient blanc, la couleur des Omeyyades. Depuis, le blanc est le signe extérieur du deuil comme des fêtes au Maroc.

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Avant le voyage de Delacroix en 1832, il n'éxistait aucune véritable illustration documentaire du royaume
 

L’étendard victorieux​

Entre le XIIe siècle et le XVIIe siècle, le drapeau, comme signe extérieur du pouvoir et de puissance, connaît une évolution au gré des splendeurs et de la décadence des dynasties ayant gouverné le pays. Après les Mérinides et les Wattassides, viennent les Saâdiens (1554-1659). Sous le règne de ces derniers, le royaume, à l’apogée de sa puissance, adopte le Liwae al Mansour (L’étendard victorieux), d’après le nom du puissant sultan saâdien Ahmad al-Mansour, dit Ad-Dahbi (Le Doré). Son pouvoir s’étend jusqu’au fleuve Sénégal et une large partie de l’actuel Sahel. « La puissance et les victoire militaires remportées par les armées du sultan aident à instaurer la tradition des drapeaux, explique Nabil Mouline. L’armée était composée de cinq corps avec, au milieu, un détachement conduit par le sultan. Il était entouré par les porteurs du fameux Liwae al Mansour de couleur blanche, qui faisait quatre mètres sur trois, et de six autres drapeaux de différentes couleurs, pour le mettre en valeur. Deux de ces drapeaux existent encore dans des musées espagnols ».
À partir de 1663, la dynastie des Saâdiens s’éparpille en plusieurs petits royaumes. Le pays sombre dans un chaos durant soixante ans, ponctué par de multiples incursions des puissances étrangères. Dans ce désordre, des populations d’Andalous fraichement expulsées (les fameux Moriscos), s’installent à Rabat et sévissent dans les eaux de l’Atlantique, pillant les navires « chrétiens » qui longent la côte. Ces pirates, mondialement redoutés, hissaient sur leurs embarcations pavillon rouge. Dans une grande offensive visant à réunifier le Maroc, le sultan alaouite, Moulay Rachid, proclamé à Fès en 1666, annexera, plus tard, Rabat. « Après soixante ans de chaos, le Maroc a perdu ses traditions d’apparat militaire. Les Alaouites vont naturellement adopter le drapeau rouge et en faire l’emblème de leur dynastie », conclut l’historien.

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Le fameux Liwae al Mansour de couleur blanche faisait quatre mètres sur trois, et s'entourait de six autres drapeaux de différentes couleurs.


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Faux drapeau ?
Né sous la mauvaise étoile

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C’est l’édition du dictionnaire Larousse de 1948, où figure un drapeau marocain rouge, frappé d’une étoile à six branches, qui serait à l’origine de la confusion sur l’actuel drapeau marocain. L’étoile à six branches — dite étoile de Salomon ou de David —alimente, depuis, la polémique entre les historiens, à cause de sa symbolique liée au judaïsme. D’après certains, le drapeau popularisé par Larousse n’est que le résultat d’une simple erreur. Ce dont on est sûr, c’est que le « sceau marqué par l’étoile à six branches a été repris par toutes les civilisations du Moyen-Orient. Plusieurs pays, dont le Maroc, frappaient la monnaie ornée de ce symbole, et les documents officiels de l’Empire Chérifien portaient le sceau de Salomon. Avec la naissance de l’État d’Israël, qui fait de l’étoile de David son symbole, les dernières pièces de monnaie portant ce symbole disparaissent progressivement », explique un historien.

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Sous le règne de Abdul Aziz Ier (1894-1908), une pièce de monnaie d'une valeur d'¼ de Rial, ornée de l'étoile de David.
 
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14 mai 1956 à Rabat. Le roi Mohammed V et le prince Moulay Hassan, saluant le drapeau de la nouvelle armée marocaine.



Alors on chante
Manbita Al Ahrar

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Le monde découvre « Manbita Al Ahrar » lors de la coupe du monde 1970.

Après l’instauration d’un nouveau drapeau en 1915, le résident général Lyautey lance un concours musical de composition d’un salut royal. C’est une partition écrite par le capitaine français Léo Morgan qui emporte les faveurs du Général. Il devient alors l’ « hymne chérifien », dépourvu de paroles, comme la majorité des autres hymnes nationaux. Dans la ferveur nationaliste de l’époque post-indépendance, un chant patriotique voit le jour. Il s’agit du nachid watani, « Dawlat al maghrib ». Il est enseigné à l’école. En 1969, le Maroc dote son hymne de paroles. Sur la base de la composition de Léo Morgan, Hassan II organise à son tour un concours, au palais royal. C’est le texte du poète Ali Skalli Houssaini que choisit le roi. La même année, le Maroc participe à la Coupe du monde de football, organisée au Mexique. C’est ainsi que le 3 juin 1970, lors de la rencontre, au premier tour, qui oppose le Royaume à l’ex-Allemagne de l’Est, le monde entier découvre le Manbita al ahrar.
 

Du sultan à la nation​

A la fin du XIXe siècle, le Maroc est entre le marteau de l’instabilité interne et l’enclume de la pression des puissances coloniales. L’Algérie, devenue française depuis 1830, connaît une insurrection menée par l’Emir Abdelkader. Ce dernier est soutenu par le sultan Moulay Abd Al-Rahman, qui s’aventure dans un affrontement avec l’armée française. Les troupes du sultan sont écrasées dans la bataille d’Isly, le 10 aout 1844. La défaite provoque un séisme politique dans le pays, gangréné par l’affaiblissement du pouvoir central et la Siba (l’anarchie).
Les premiers appels à la réforme se font entendre par une génération de lettrés, influencée par les idées de nationalisme européen. « Plusieurs membres de l’élite marocaine ont voyagé dans les pays du Moyen-Orient, alors sous domination de l’Empire Ottoman, où les idées de la citoyenneté et de démocratie commençaient à faire leur chemin, ce qui donnera la première Constitution ottomane en 1876. Ces élites demandent au Sultan la réforme de l’État, et de doter celui-ci des signes extérieurs d’un État moderne, dont un drapeau, en l’occurence de couleur rouge. La notion de l’emblème commençait à passer du symbole centré autour du sultan, à celui de la nation », analyse Nabil Mouline.

Affaibli, le sultan signe le traité de Fès de 1912, en vertu duquel le protectorat français s’installe officiellement au royaume. Trois années plus tard, le résident général Lyautey fait signer au sultan Moulay Youssef, un dahir daté du 17 novembre 1915, d’après lequel le drapeau du royaume sera rouge, orné d’une étoile verte. « L’étoile a été rajoutée sur proposition de la puissante douane française. Ce corps était déjà présent au Maroc avant l’arrivée du protectorat en raison des concessions commerciales qui étaient consenties par le royaume aux puissances occidentales. C’était aussi une façon d’éviter que le drapeau soit confondu avec l’étendard rouge du communisme, dont les idées gagnaient du terrain en Europe. Enfin, l’Étoile verte est justifiée par la référence aux cinq piliers de l’islam », conclut l’historien. Un drapeau qui sera difficilement accepté par la maison royale. Par pragmatisme politique, dans la foulée du mouvement national, Mohammed V, choisit le vert, frappé d’une étoile dorée comme emblème. Il restera l’éternel drapeau dynastique, salué par les rois alaouites lors de leurs apparitions publiques. Une affaire de famille.

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À Marrakech, Hassan II célèbrant les 25 ans de son règne, le 4 Mars 1986
 
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