La guerre du Cameroun : une décolonisation dans le sang, longtemps passée sous silence

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
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Alors que l’on commémore les indépendances africaines, un nom reste étrangement absent des récits officiels : celui de la guerre du Cameroun. Entre 1955 et 1971, une guérilla féroce a opposé les nationalistes de l’UPC aux forces françaises et à leurs alliés locaux. Arrestations massives, tortures, villages rasés, zones interdites : ce conflit, souvent qualifié de « guerre invisible », fut l’un des plus brutaux de la période post-coloniale. Voici son histoire, entre mémoire étouffée et vérité historique.

La guerre que la France a voulu effacer : comprendre la guerre du Cameroun (1955–1971)

Il est des guerres qui ne portent pas de nom. Des conflits qui n’ont jamais été déclarés, ni reconnus, ni même enseignés. Des affrontements aussi sanglants qu’effacés. La guerre du Cameroun en fait partie. Entre 1955 et 1971, une guérilla impitoyable a opposé l’Union des Populations du Cameroun (UPC), mouvement indépendantiste panafricain, à l’administration coloniale française d’abord, puis au pouvoir camerounais soutenu par Paris. Pendant près de deux décennies, la France a mené, dans l’ombre, l’une de ses plus longues guerres coloniales… sans jamais lui donner ce nom.

On parle ici de villages rasés à coups de napalm. De zones entières classées « interdites », bouclées et bombardées. De milliers de prisonniers politiques exécutés sans procès. De leaders nationalistes empoisonnés, fusillés, ou enterrés anonymement dans les forêts d’Afrique équatoriale. Une guerre dans laquelle les archives officielles ont longtemps été verrouillées, les témoins bâillonnés, les survivants réduits au silence.

Dans les manuels scolaires français comme camerounais, cette période reste floue, reléguée à quelques lignes, quelques formules vagues. On parle de « troubles », de « rébellion », de « pacification ». Rarement de guerre. Jamais d’occupation. Presque jamais de responsabilité.

Pourtant, cette guerre a été le théâtre d’un affrontement fondamental entre deux visions du monde : d’un côté, celle d’un empire en déclin, s’accrochant à ses anciennes colonies en s’alliant à des élites locales dociles. De l’autre, celle d’hommes et de femmes qui rêvaient d’une indépendance réelle, populaire, radicale ; une indépendance qui ne se négocie pas, mais qui se conquiert.

Comprendre la guerre du Cameroun, c’est donc bien plus qu’un travail d’historien : c’est un acte de mémoire, de justice, de réparation. C’est déconstruire le mythe d’une décolonisation “paisible” en Afrique francophone. C’est remettre au centre du récit celles et ceux que l’histoire officielle a volontairement effacés.

Colonialisme, UPC et soif d’indépendance (1922–1955)​

Pour comprendre la guerre du Cameroun, il faut remonter au cœur d’un mensonge historique : celui d’un pays qui n’aurait jamais été une colonie comme les autres. En 1919, après la défaite allemande lors de la Première Guerre mondiale, le territoire camerounais est confié à la France et au Royaume-Uni sous forme de mandats de la Société des Nations<a href="https://www.nofi.media/2025/06/la-guerre-du-cameroun/95964#08931d3b-316b-411a-a4ab-6266fe2797d5">1</a>. Une tutelle censée préparer les populations à l’autonomie, mais qui, dans les faits, reproduit et durcit les logiques de domination coloniale.

Sous mandat français, le Cameroun devient un laboratoire colonial moderne : grands travaux, cultures d’exportation, monopoles commerciaux… et exploitation systémique des ressources comme des corps. Le Code de l’indigénat y est appliqué avec brutalité. Travaux forcés, impôts écrasants, déplacements massifs de populations et ségrégation raciale marquent la vie quotidienne. À cela s’ajoute une violence symbolique : la négation de toute capacité politique ou intellectuelle des Africains.

Mais les temps changent. En 1945, la Seconde Guerre mondiale a ébranlé l’arrogance impériale. Des soldats africains ont combattu et parfois versé leur sang pour la France libre. Les indépendances indiennes (1947), les mouvements nationalistes en Afrique du Nord, la création de l’ONU… tout pousse à croire qu’un vent nouveau souffle sur les empires.

C’est dans ce contexte que naît en 1948 l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Menée par une génération éduquée, militante et panafricaniste (Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Marthe Moumié, Ossendé Afana) l’UPC refuse les demi-mesures. Ses mots d’ordre sont clairs : indépendance immédiate, réunification des Cameroun oriental et occidental, souveraineté populaire, lutte contre la corruption coloniale.............................


 
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