« Le mot, d’abord. On ne sait pas très bien d’où il vient. Ce n’est pas, en tout cas, celui qu’utilisent ceux qui la pratiquent (de nos jours, au Maroc, on préfère le mot tbourida). Pour les auteurs d’un des rares livres consacrés à L’Art de la fantasia, « ce terme trouve vraisemblablement son origine dans un sabir utilisé en Afrique du Nord, à base de français, d’italien, d’espagnol et d’arabe ». Il serait intéressant de savoir, aussi, d’où vient le mot sabir – mais cela nous éloignerait de notre sujet.
Au moins le mot fantasia est-il bien choisi. Il évoque, en effet, quelque chose de joyeux, de festif, de fantaisiste- ce qui est tout à fait le cas de cette exhibition équestre, qui se joue sur une très courte distance (150 à 200 mètres suffisent) et consiste – en gros – à lancer son cheval, départ arrêté, à vive allure, à lui demander une accélération foudroyante, pour l’arrêter pile en bout de piste, au pied des spectateurs médusés.
On agrémente l’exercice de quelques gesticulations aussi spectaculaires et, depuis l’invention du fusil à poudre, aussi bruyantes que possible. Lorsqu’on est en groupe - une dizaine de cavaliers constitue déjà une belle sorba -, tout l’art consiste à faire « parler la poudre », comme on dit dans les westerns, d’une seule voix. Tous les cavaliers sont priés de décharger leurs pétoires simultanément. Mais il est des régions d’Afrique du Nord où l’on préfère le sabre au fusil. Il faut alors le faire tournoyer de la manière la plus acrobatique possible autour et au-dessus de soi.
Il existe toutes sortes de fantasias. Dans l’est de l’Algérie, elle se pratique individuellement, et offre alors l’occasion de montrer l’habileté du cavalier à manier le sabre, l’épée ou le fusil – parfois même les trois à la fois. Cela peut alors ressembler beaucoup à la djighitovka. Dans cette région, la monture utilisée est généralement une jument dont la croupe, par pudeur, peut-être ( ?), est recouverte d’un tissu aux couleurs chatoyantes qui descend jusqu’à mi-jarrets. Plus à l’ouest, les fantasias sont plutôt collectives, et on y utilise plutôt des chevaux mâles.
Dans une (excellente) biographie d’un des personnages les plus pittoresques du Second Empire, Edmond Jouhaud cite un témoin de ce qui fut, peut-être, la plus grande fantasia de tous les temps, organisée le 18 septembre 1860, à l’occasion de la visite de l’empereur Napoléon III en Algérie. Voici ce témoignage : "La vaste plaine qui s’étend sous les yeux des spectateurs est muette… Tout à coup débouche une caravane avec ses troupeaux et son escorte. Simulant l’attaque de cette caravane, des milliers de cavaliers (vous avez bien lu : des milliers – on a parfois dit dix mille ! ) se ruent sur elle et tournoyant au galop et en déchargeant leurs armes ; ces longs fusils plaqués d’argent ou de corail ; ces chevaux alertes carapaçonnés de housses de soie de couleurs variées ; ces hautes coiffures noires en plumes d’autruche – attribut des guerriers – couronnant la tête des plus braves ; ces femmes, du haut de leurs palanquins hissés sur des chameaux, simulant l’effroi et poussant des cris sauvages ; cette mise en scène, à la fois grandiose et bizarre, vrai décor d’opéra, décuplé cent fois par le nombre des acteurs, tout cela produisit sur l’esprit de Leurs Majestés un étonnement indicible ».