Une stratégie du meurtre
«Il n’y a pas d’innocents dans une invasion.» Tout au long de son texte, le terroriste procède à une déshumanisation méthodique de ses victimes, systématiquement désignées comme des «envahisseurs», collectivement coupables d’avoir voulu «occuper les terres de mon peuple et le remplacer ethniquement». Même le meurtre d’enfants se voit justifié, au motif que «les enfants des envahisseurs ne restent pas enfants : ils deviennent adultes et se reproduisent, créant davantage d’envahisseurs pour remplacer votre peuple. […] Chaque envahisseur que vous tuez, quel que soit son âge, est un ennemi de moins pour vos enfants». Cet appel à l’épuration ethnique s’accompagne d’une liste de dirigeants à «tuer» : la chancelière allemande Angela Merkel, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le maire de Londres Sadiq Khan.
De cette stratégie du meurtre, présentée comme une légitime «vengeance», le terroriste attend des effets politiques : censée décourager l’immigration, elle doit aussi «inciter à la violence, à la vengeance et approfondir la division entre le peuple européen et les envahisseurs qui occupent son sol». Un projet symétrique à celui de l’Etat islamique, dont les attentats répétés devaient, eux aussi, exacerber les antagonismes des sociétés européennes.
Un «fascisme» post-national et séparatiste
«Pour une fois, cette personne qu’on désignera comme fasciste en sera vraiment une.» Si Brenton Tarrent assume l’étiquette, ainsi que le qualificatif «raciste», il s’inscrit dans une démarche post-nationale, attachée non aux Etats-nations mais aux identités ethniques et à la «civilisation européenne».
Tout au long du texte, c’est d’ailleurs comme «Européen», terme synonyme pour lui de «blanc», que s’identifie le terroriste, citoyen australien passé à l’action en Nouvelle-Zélande. «L’Australie, comme le reste des colonies européennes, n’est qu’une branche de l’Europe, justifie-t-il. Un doigt sur la main du corps européen.» Expression d’un néofascisme «mondialisé», selon le mot de l’historien Nicolas Lebourg, où un affrontement ethnique global se substitue au choc des nations. L’homme professe en outre un racisme «séparatiste», visant moins à établir la domination d’une ethnie sur l’autre que de mettre fin à toute cohabitation entre elles.
A plusieurs reprises, l’Australien exprime également des préoccupations environnementales, allant jusqu’à se définir comme «écofasciste» - signe supplémentaire, pour Lebourg, d’une extrême droite «post-moderne»,«bricolant» son logiciel par l’emprunt à d’autres traditions politiques. A ces références, le manifeste prend soin de mêler plusieurs éléments d’une «culture populaire» d’extrême droite, produits d’appel pour les suprémacistes du monde entier. Sur la première et la dernière page du document apparaît ainsi l’image stylisée d’un soleil noir. Ponctuellement utilisé sous le IIIe Reich, ce symbole ésotérique est populaire dans la mouvance néonazie. Tout comme la phrase «Nous devons assurer l’existence de notre peuple et un futur pour les enfants blancs», citée à plusieurs reprises. Ce credo du suprémaciste blanc américain David Lane est si connu que la mouvance le résume par l’expression «les quatorze mots», et a fait du chiffre 14 l’un de ses codes récurrents. Le terroriste recommande enfin l’usage de mèmes, ces images frappantes ou humoristiques diffusées en masse sur les réseaux sociaux : «Créez des mèmes, postez des mèmes, partagez des mèmes. Les mèmes ont plus fait pour le mouvement ethnonationaliste que n’importe quel manifeste.»