Les Marqueteurs d'Essaouira
maâlam Tahar Mana, doyen des marqueteurs d'Essaouira
Ma grand-mère paternelle Mina serait morte en 1919 de la diphtérie, affection qu’on appelait « Hnicha » (serpentine), qui tue par étouffement au niveau de la gorge. Mon père n’avait alors que dix ans, quand sur son lit de mort elle le confia à Abdessalam, le fils aîné de sa sœur, en ces termes :
- Tahar, mon fils est orphelin du père et bientôt il le sera de mère : il n’a que faire du cléricalisme, il faut lui trouver un travail manuel pour vivre.
maâlem Tahar Mana dans son atelier de la Scala début des années 1980
C’est ainsi qu’Abdessalam allait confier mon père à l’un des premiers marqueteurs d’Essaouira : c’était juste à la fin de la première guerre mondiale. Ce maître confectionnait service de thé et cross de fusils en bois de noyer incrustés d’ivoire, pour la Maison royale et les consuls de la ville, comme en témoigne mon père dans un enregistrement de 1980 :


Traces de mon père: dessins géométriques et rinceaux floraux
« L’un des pionniers de la marqueterie fut le cheikh Brik. Il était le maître de Hâjj Mad, mon initiateur à ce métier. Le père de ce dernier le voyant un jour traverser l’artère des forgerons, au retour d’une partie de chasse, en compagnie d’un autre chasseur, avec leur tenue de chasse et leurs sloughis, s’exclama :
- Et dire que je voulais en faire un clerc ! Le voilà qui traîne maintenant des sloughis derrière lui ! Que faire ?
Maâlam Tahar Mana avec ses amis artisans en pic-nique rituel (nzaha) dans la vallée de l'Ourika
Des traces qui restent pour toujours : épreuve du feu, traces indélébiles, tel est le désir d’éternité, qui habite tout créateur.C’est pour nous les vivants que cette mémoire est importante, si tant soit peu que le deuil soit possible… Je ne sais plus, pour ma part, quel penseur grec avait donné cette définition de la mort : quand je suis là, elle n’est pas là, et quand elle est là, je ne suis pas là. Une consolation ? Peut-être. Mais les blessures de l’âme, l’absence de l’aimé, qui peut les soigner ? Cette éternelle quête du sens ?
Peinture sur bois du Mokhazni Bentajer
Bien avant l’apparition de la marqueterie, ses fondateurs étaient ceux-là même qui ornaient les toits des mosquées et ceux des demeures caïdales, et qu’on appelait les Brachlia. Mon arrière-grand-père paternel était de ceux-là. Il avait effectué à au moins deux reprises le pèlerinage à La Mecque à pied. À son retour au pays Chiadmi, trouvant sa maison dévastée, il était allé se réfugier dans la tribu voisine où on lui accorda femme, bergerie et terre à labourer. C’est là que naquit mon grand – père paternel, qui sera cordonnier de son état et qui mourra assassiné sur une plage déserte entre Essaouira et Safi, attaqué probablement par des coupeurs de route, qui lui enviaient sa charge de babouches. Mais sa disparition demeure toujours un mystère. Son père Hâjj Thami le Marrakchi, aurait été non seulement un paysan et un pèlerin, mais aussi un Brachlia de Marrakech, c’est-à-dire un décorateur des toitures en bois peint ; il aurait été le décorateur de la toiture de Sidi Mogdoul, le saint patron d’Essaouira.
La peinture avait donc précèdé l’incrustation du bois. Alors que les dessins géométriques sont incontestablement d’inspiration islamique, le recours aux rinceaux (ou Tasjir) est d’inspration occidentale comme l’indique son autre nom Ârq Aâjam (racine chrétienne). Ce dernier modèle s’inspire de la nature dont l’Islam prohibe l’imitation. Quant aux motifs ornementeaux, ils résultent d’une créativité locale : la marqueterie est donc la synthèse obtenue par des générations d’artisans, à partir de la combinaison de modèle d’emprunts et de créativité locale.

Peinture sur bois du ferrailleur, Asman Mustapha

Ma grand-mère paternelle Mina serait morte en 1919 de la diphtérie, affection qu’on appelait « Hnicha » (serpentine), qui tue par étouffement au niveau de la gorge. Mon père n’avait alors que dix ans, quand sur son lit de mort elle le confia à Abdessalam, le fils aîné de sa sœur, en ces termes :
- Tahar, mon fils est orphelin du père et bientôt il le sera de mère : il n’a que faire du cléricalisme, il faut lui trouver un travail manuel pour vivre.

C’est ainsi qu’Abdessalam allait confier mon père à l’un des premiers marqueteurs d’Essaouira : c’était juste à la fin de la première guerre mondiale. Ce maître confectionnait service de thé et cross de fusils en bois de noyer incrustés d’ivoire, pour la Maison royale et les consuls de la ville, comme en témoigne mon père dans un enregistrement de 1980 :


Traces de mon père: dessins géométriques et rinceaux floraux
« L’un des pionniers de la marqueterie fut le cheikh Brik. Il était le maître de Hâjj Mad, mon initiateur à ce métier. Le père de ce dernier le voyant un jour traverser l’artère des forgerons, au retour d’une partie de chasse, en compagnie d’un autre chasseur, avec leur tenue de chasse et leurs sloughis, s’exclama :
- Et dire que je voulais en faire un clerc ! Le voilà qui traîne maintenant des sloughis derrière lui ! Que faire ?

Des traces qui restent pour toujours : épreuve du feu, traces indélébiles, tel est le désir d’éternité, qui habite tout créateur.C’est pour nous les vivants que cette mémoire est importante, si tant soit peu que le deuil soit possible… Je ne sais plus, pour ma part, quel penseur grec avait donné cette définition de la mort : quand je suis là, elle n’est pas là, et quand elle est là, je ne suis pas là. Une consolation ? Peut-être. Mais les blessures de l’âme, l’absence de l’aimé, qui peut les soigner ? Cette éternelle quête du sens ?

Peinture sur bois du Mokhazni Bentajer
Bien avant l’apparition de la marqueterie, ses fondateurs étaient ceux-là même qui ornaient les toits des mosquées et ceux des demeures caïdales, et qu’on appelait les Brachlia. Mon arrière-grand-père paternel était de ceux-là. Il avait effectué à au moins deux reprises le pèlerinage à La Mecque à pied. À son retour au pays Chiadmi, trouvant sa maison dévastée, il était allé se réfugier dans la tribu voisine où on lui accorda femme, bergerie et terre à labourer. C’est là que naquit mon grand – père paternel, qui sera cordonnier de son état et qui mourra assassiné sur une plage déserte entre Essaouira et Safi, attaqué probablement par des coupeurs de route, qui lui enviaient sa charge de babouches. Mais sa disparition demeure toujours un mystère. Son père Hâjj Thami le Marrakchi, aurait été non seulement un paysan et un pèlerin, mais aussi un Brachlia de Marrakech, c’est-à-dire un décorateur des toitures en bois peint ; il aurait été le décorateur de la toiture de Sidi Mogdoul, le saint patron d’Essaouira.
La peinture avait donc précèdé l’incrustation du bois. Alors que les dessins géométriques sont incontestablement d’inspiration islamique, le recours aux rinceaux (ou Tasjir) est d’inspration occidentale comme l’indique son autre nom Ârq Aâjam (racine chrétienne). Ce dernier modèle s’inspire de la nature dont l’Islam prohibe l’imitation. Quant aux motifs ornementeaux, ils résultent d’une créativité locale : la marqueterie est donc la synthèse obtenue par des générations d’artisans, à partir de la combinaison de modèle d’emprunts et de créativité locale.

Peinture sur bois du ferrailleur, Asman Mustapha