Le Bleu du caftan : un autre regard sur le désir homosexuel au Maroc
Porte qui s’ouvre et qui se ferme, sonnette qui retentit quand rentre une cliente. Des étoffes rangées minutieusement au fond d’une boutique. Et un caftan, bleu azur, brodé d’or, qui trône dans l’atelier. Voici les sons et les couleurs qui accompagnent Le Bleu du caftan, film marocain réalisé par Maryam Touzani, sorti en salle ce 22 mars en France et diffusé au Maroc depuis le 22 février.Dans la ville de Salé, au nord de Rabat, un couple de tailleurs, Mina et Halim, partage un quotidien tranquille. Halim est timide, Mina extravertie : les personnalités de chaque personnage ont été précisément choisies pour dénoncer les représentations de la femme soumise et de l’homme tout-puissant. Mina est à l’initiative des sorties du couple, elle initie les moments de tendresse, elle tient avec une main ferme la boutique.
Bousculer les lignes du genre
Le couple, très soudé, préserve un secret bien caché : l’homosexualité de Halim. Le Bleu du caftan rétablit ainsi une réalité trop souvent occultée : celle de l’homosexualité dans les milieux populaires au Maroc, taboue mais banale, comme le rapporte l’anthropologue Gianfranco Rebucini. La réussite du film tient à sa fidélité aux réalités sociologiques. L’homosexualité est connue mais elle ne se dit pas.Youssef, jeune homme qui travaille à la boutique et brode le caftan (longue tunique très portée au Maroc pour les festivités), révèle un jour son amour pour Halim. Le reste des relations entre hommes est entrevu à travers des scènes qui connotent le désir : le rapprochement des corps, le hammam comme lieu de rencontre, les échanges de regards.
Le film ne se laisse pas aller à une essentialisation de l’homme homosexuel au comportement efféminé. Plutôt, il joue sur la sensibilité, les identités intimes propres à chaque personnage, sans y calquer une identité sexuelle préconçue.
Plus qu’un film sur l’homosexualité, Maryam Touzani signe une œuvre qui explore les lignes de l’amour : car si Halim éprouve un penchant sexuel et amoureux pour les hommes, il aime aussi éperdument sa femme Mina.
Le caftan est comme le fil rouge du film, il accompagne la progression de l’histoire, et la fin coïncide avec l’achèvement de l’habit. Plusieurs éléments contribuent à renforcer l’identité marocaine du long-métrage : on pourrait y voir seulement un amour au masculin mais c’est aussi un amour pour la couture, pour la confection artisanale et pour le métier de tailleur (le maalem en darija) qui est montré dans plusieurs scènes.
En ancrant l’histoire au Maroc, la réalisatrice donne à voir ce que signifie aimer et désirer dans son pays.
L’homosexualité en tant que catégorie sexuelle est relativement récente dans le monde arabe et est « intimement liée aux discours et représentations dominants en Europe et en Amérique depuis l’âge colonial, et plus intensément encore dans le monde globalisé postcolonial », comme l’indique Frédéric Lagrange, professeur des universités de langue arabe et de gender studies.
Le discours hétéronormatif, qui fait ainsi des relations hétérosexuelles une norme et des relations homosexuelles une pratique déviante, prend forme aussi dans le langage. C’est donc au XXe siècle que les termes homosexualité (mithliyya) et sexe (jins) font leur apparition en arabe, produits d’une traduction directe de l’anglais ou du français.
Le Bleu du caftan, et par là-même le cinéma, ouvre une voie à la réappropriation du désir dans ses formes et ses pratiques telles qu’elles existent au Maroc. Les termes d’« homosexualité » ou de « gay » ne sont jamais énoncés dans les quelques dialogues du film. Les images se suffisent à elle-même pour montrer l’existence d’un amour homosexuel en-dehors des milieux bourgeois et des élites occidentalisées.
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