Zorro75
La vie est un court exil
Triste sort pour nos compatriotes
LEspagnol Martín fait profession de retourner au pays les corps des émigrants volontaires qui perdent la vie dans leur rêve dun monde meilleur. Portrait dun businessman non sans ambiguïté
Le jeune Bouchaîb est revenu chez lui, mais ce fut loin dêtre évident. Son cadavre repose en bordure du cimetière hérissé dherbes folles, en face du vieux mausolée. La tombe est semblable aux autres, un monticule de terre rudimentaire, sans nom ni date, à proximité du douar. Le douar, le village, sappelle LHahyamna, perdu dans la campagne marocaine rase et brûlée, à deux heures de route de Casablanca.
Quelque 200 familles y vivent qui, explique-t-on, ne formeraient en réalité quune seule grande famille, «unie comme les doigts de la main». Tous ont été bouleversés par la mort de Bouchaîb, et interloqués par son retour. Sa propre mère, davantage, bien sûr: «Il a été intrépide, il a été tué, cétait la volonté dAllah. Et, dans ce drame, je me dis chanceuse. Son corps nous est revenu, comme par miracle. Je me sens en paix.»
Le corps décomposé de Bouchaîb naurait pourtant pas dû retourner chez les siens. Comme ces centaines de Marocains qui périssent par noyade, surtout en tentant de rejoindre lEurope via le détroit de Gibraltar, ses restes devaient, au mieux, être inhumés à la va-vite, dans lanonymat, là-bas en Espagne, dans un bourg quelconque. Une de ces misérables sépultures de loubli barrées dune inscription, «naufragio» ou «desaparecido» (disparu).
En février, Bouchaîb quitte le douar en prétextant rejoindre des amis à Casablanca. Mensonge: il veut passer en Espagne, coûte que coûte. LEspagne, ce rêve qui lhabite depuis tout petit, il connaît bien. En 2007 il avait 17 ans il avait réussi son coup en clandestin, à bord dune patera, une de ces grosses barques de pêcheurs. Trois ans plus tard, la garde civile lexpulsa vers son Maroc. Il sy morfond, ne pense quà repartir, et ment à ses parents. Mais, cette fois-ci, ce mois de février, cest la tragédie. A Tanger, tel dinnombrables adolescents voulant passer la frontière au nez et à la barbe des douaniers espagnols, il saccroche au bas dun camion. Il y a le passage du ferry puis larrivée à Algésiras, le premier port dEspagne, ni vu ni connu. Mais, au premier arrêt dautoroute, le chauffeur du camion découvre le corps carbonisé de Bouchaîb, recroquevillé à la tête du moteur.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f04e62d8-e5ff-11df-abdd-b0532318a2e1|0
LEspagnol Martín fait profession de retourner au pays les corps des émigrants volontaires qui perdent la vie dans leur rêve dun monde meilleur. Portrait dun businessman non sans ambiguïté
Le jeune Bouchaîb est revenu chez lui, mais ce fut loin dêtre évident. Son cadavre repose en bordure du cimetière hérissé dherbes folles, en face du vieux mausolée. La tombe est semblable aux autres, un monticule de terre rudimentaire, sans nom ni date, à proximité du douar. Le douar, le village, sappelle LHahyamna, perdu dans la campagne marocaine rase et brûlée, à deux heures de route de Casablanca.
Quelque 200 familles y vivent qui, explique-t-on, ne formeraient en réalité quune seule grande famille, «unie comme les doigts de la main». Tous ont été bouleversés par la mort de Bouchaîb, et interloqués par son retour. Sa propre mère, davantage, bien sûr: «Il a été intrépide, il a été tué, cétait la volonté dAllah. Et, dans ce drame, je me dis chanceuse. Son corps nous est revenu, comme par miracle. Je me sens en paix.»
Le corps décomposé de Bouchaîb naurait pourtant pas dû retourner chez les siens. Comme ces centaines de Marocains qui périssent par noyade, surtout en tentant de rejoindre lEurope via le détroit de Gibraltar, ses restes devaient, au mieux, être inhumés à la va-vite, dans lanonymat, là-bas en Espagne, dans un bourg quelconque. Une de ces misérables sépultures de loubli barrées dune inscription, «naufragio» ou «desaparecido» (disparu).
En février, Bouchaîb quitte le douar en prétextant rejoindre des amis à Casablanca. Mensonge: il veut passer en Espagne, coûte que coûte. LEspagne, ce rêve qui lhabite depuis tout petit, il connaît bien. En 2007 il avait 17 ans il avait réussi son coup en clandestin, à bord dune patera, une de ces grosses barques de pêcheurs. Trois ans plus tard, la garde civile lexpulsa vers son Maroc. Il sy morfond, ne pense quà repartir, et ment à ses parents. Mais, cette fois-ci, ce mois de février, cest la tragédie. A Tanger, tel dinnombrables adolescents voulant passer la frontière au nez et à la barbe des douaniers espagnols, il saccroche au bas dun camion. Il y a le passage du ferry puis larrivée à Algésiras, le premier port dEspagne, ni vu ni connu. Mais, au premier arrêt dautoroute, le chauffeur du camion découvre le corps carbonisé de Bouchaîb, recroquevillé à la tête du moteur.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f04e62d8-e5ff-11df-abdd-b0532318a2e1|0