Dans le royaume chérifien, le marchandage est vu comme un produit dappel touristique, alimentant la tradition dhospitalité des habitants
A deux pas du Tribunal de la famille, dans le quartier casablancais des Habous, le touriste se fait rare sous les arcades. Bâtie pendant le Protectorat pour décongestionner la vieille ville et désamorcer la contestation populaire, cette médina « à leuropéenne » accueille aujourdhui quelques dizaines déchoppes touristiques, en plus de magasins de tissus et de vaisselle de cérémonie.
Ici ne prévaut ni lorganisation traditionnelle des souks, ces marchés des villes islamiques aux rues entrelacées où artisans et commerçants se regroupent par corps de métier, ni cette ambiance pittoresque chargée de bruits, de couleurs et deffluves, tant appréciée des visiteurs étrangers, notamment à Marrakech ou Fès, et dont les achats dartisanat sélevaient en 2008 à 160 millions deuros.
Mais dans la boutique de Yassine Mohamed, on ne déroge pas au rituel du marchandage lamtaouyia en arabe marocain. Quand entre un couple français en recherche dun tapis cible intéressante sil en est , des commerçants voisins, solidaires, arrivent aussitôt pour honorer le cérémonial : thé à la menthe versé avec application, mains amicales posées sur les épaules, et « Quel âge ont les enfants ? »
"Cest cadeau"
Quant au prix, souvent, « cest cadeau », assurent les marchands en forçant leur accent pour ajouter une dose de folklore ; et si cest cher, cest parce que « cest fait main ». Le touriste, lui, joue aussi son rôle, tournicotant parmi les tissus la moue désintéressée, ou palpant le cuir dun pouf pour vérifier sil sagit bien de chèvre (noble) et non de mouton (bas de gamme).
« Un proverbe arabe dit : Que Dieu fasse quil y ait de lincertitude entre le vendeur et lacheteur, rapporte le sociologue Jamal Khalil. Le marchandage vient des premières formes de commerce comme le troc, pour lequel il fallait trouver le bon équilibre entre la valeur des choses. » « Marchander, ça ne se discute pas », sourit Brahim Sriti sur son tabouret.
Selon lui, négocier est dabord « un plaisir » pour « faire des amitiés, ne pas travailler que pour largent ». « Même si tu fais seulement 5 DH (45 centimes deuro) de bénéfice, limportant cest de gagner un client », poursuit celui qui connaît de nombreuses journées « sans ». Ou de gagner sur un produit non envisagé au départ par lacheteur ce quon a perdu sur le premier achat.
« Ça fait partie du charme, on éprouve le plaisir de faire une affaire et le commerçant celui de vendre son produit, tout le monde est content », estime Corinne Lévy, une cliente de passage. Au Maroc, le marchandage est devenu une offre touristique en soi, alimentant la réputation dhospitalité des Marocains et prolongeant le dépaysement bon marché que les touristes viennent chercher dans le royaume.
Tout guide de voyage y va de ses conseils : diviser le prix annoncé par deux, voire trois, trouver un juste milieu, ne pas palabrer longtemps sans rien acheter, ne pas se rétracter après un accord et garder le sourire (les réfractaires pouvant se rabattre sur les magasins Coopartim aux prix fixes).
Des repères pour les plus avertis
Des repères existent pour les plus avertis : les objets sont parfois affublés dun code sur une petite étiquette. « 850B, explique Yassine Mohamed en tendant un petit vase en céramique orange, ça veut dire 50 DH pour le prix de fabrication, 85 DH pour un petit bénéfice. » Ce qui ne lempêchera pas de proposer 200 DH comme premier prix.
Sil le sait indispensable pour vendre, Oussama Belaïd, jeune commerçant de 22 ans, se passerait bien du marchandage, « sauf avec les Américains ou les Suisses, ils discutent peu et paient bien, assure-t-il. Contrairement aux Français ou aux Allemands. Ils ont tout de suite limpression quon va les rouler. » « Cest plutôt nous qui nous faisons avoir », ironise un client marocain, selon qui tout a augmenté à « Marrakech arnakech » (surnom courant).
Sils continuent de négocier vêtements ou électroménager dans certains souks et magasins de gros, le marchandage se fait plus rare dans le quotidien des villes, où supermarchés et franchises gagnent du terrain. En septembre dernier, une association marocaine de consommateurs a obtenu la signature dun arrêté rendant obligatoire laffichage des prix dans les commerces et transports, où la négociation est bannie mais les prix souvent anarchiques.
Source : La Croix - Cerise Marechaud
A deux pas du Tribunal de la famille, dans le quartier casablancais des Habous, le touriste se fait rare sous les arcades. Bâtie pendant le Protectorat pour décongestionner la vieille ville et désamorcer la contestation populaire, cette médina « à leuropéenne » accueille aujourdhui quelques dizaines déchoppes touristiques, en plus de magasins de tissus et de vaisselle de cérémonie.
Ici ne prévaut ni lorganisation traditionnelle des souks, ces marchés des villes islamiques aux rues entrelacées où artisans et commerçants se regroupent par corps de métier, ni cette ambiance pittoresque chargée de bruits, de couleurs et deffluves, tant appréciée des visiteurs étrangers, notamment à Marrakech ou Fès, et dont les achats dartisanat sélevaient en 2008 à 160 millions deuros.
Mais dans la boutique de Yassine Mohamed, on ne déroge pas au rituel du marchandage lamtaouyia en arabe marocain. Quand entre un couple français en recherche dun tapis cible intéressante sil en est , des commerçants voisins, solidaires, arrivent aussitôt pour honorer le cérémonial : thé à la menthe versé avec application, mains amicales posées sur les épaules, et « Quel âge ont les enfants ? »
"Cest cadeau"
Quant au prix, souvent, « cest cadeau », assurent les marchands en forçant leur accent pour ajouter une dose de folklore ; et si cest cher, cest parce que « cest fait main ». Le touriste, lui, joue aussi son rôle, tournicotant parmi les tissus la moue désintéressée, ou palpant le cuir dun pouf pour vérifier sil sagit bien de chèvre (noble) et non de mouton (bas de gamme).
« Un proverbe arabe dit : Que Dieu fasse quil y ait de lincertitude entre le vendeur et lacheteur, rapporte le sociologue Jamal Khalil. Le marchandage vient des premières formes de commerce comme le troc, pour lequel il fallait trouver le bon équilibre entre la valeur des choses. » « Marchander, ça ne se discute pas », sourit Brahim Sriti sur son tabouret.
Selon lui, négocier est dabord « un plaisir » pour « faire des amitiés, ne pas travailler que pour largent ». « Même si tu fais seulement 5 DH (45 centimes deuro) de bénéfice, limportant cest de gagner un client », poursuit celui qui connaît de nombreuses journées « sans ». Ou de gagner sur un produit non envisagé au départ par lacheteur ce quon a perdu sur le premier achat.
« Ça fait partie du charme, on éprouve le plaisir de faire une affaire et le commerçant celui de vendre son produit, tout le monde est content », estime Corinne Lévy, une cliente de passage. Au Maroc, le marchandage est devenu une offre touristique en soi, alimentant la réputation dhospitalité des Marocains et prolongeant le dépaysement bon marché que les touristes viennent chercher dans le royaume.
Tout guide de voyage y va de ses conseils : diviser le prix annoncé par deux, voire trois, trouver un juste milieu, ne pas palabrer longtemps sans rien acheter, ne pas se rétracter après un accord et garder le sourire (les réfractaires pouvant se rabattre sur les magasins Coopartim aux prix fixes).
Des repères pour les plus avertis
Des repères existent pour les plus avertis : les objets sont parfois affublés dun code sur une petite étiquette. « 850B, explique Yassine Mohamed en tendant un petit vase en céramique orange, ça veut dire 50 DH pour le prix de fabrication, 85 DH pour un petit bénéfice. » Ce qui ne lempêchera pas de proposer 200 DH comme premier prix.
Sil le sait indispensable pour vendre, Oussama Belaïd, jeune commerçant de 22 ans, se passerait bien du marchandage, « sauf avec les Américains ou les Suisses, ils discutent peu et paient bien, assure-t-il. Contrairement aux Français ou aux Allemands. Ils ont tout de suite limpression quon va les rouler. » « Cest plutôt nous qui nous faisons avoir », ironise un client marocain, selon qui tout a augmenté à « Marrakech arnakech » (surnom courant).
Sils continuent de négocier vêtements ou électroménager dans certains souks et magasins de gros, le marchandage se fait plus rare dans le quotidien des villes, où supermarchés et franchises gagnent du terrain. En septembre dernier, une association marocaine de consommateurs a obtenu la signature dun arrêté rendant obligatoire laffichage des prix dans les commerces et transports, où la négociation est bannie mais les prix souvent anarchiques.
Source : La Croix - Cerise Marechaud