boptitprince
je ne suis qu'un prince..
Olivier Scheuer et Marie Rousseau Avocats Thales
Mis en ligne le 27/06/2010
Selon une enquête menée en 2008, 71 % des entreprises sondées seraient réticentes à donner suite à la candidature dune travailleuse désireuse de porter le voile islamique (1). Les entreprises sont, par ailleurs, souvent tentées dimposer un code vestimentaire "neutre" afin dinterdire le port du voile ou du foulard sur le lieu de travail.
La problématique du port du voile sur le lieu de travail met en effet en présence plusieurs principes, parfois difficilement conciliables, inscrits dans différents instruments juridiques, parmi lesquels : la Convention européenne des droits de lhomme et la Constitution belge qui consacrent la liberté de religion et celle de manifester ses convictions religieuses ainsi que le droit au respect de la vie privée ; la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail qui impose au travailleur dagir conformément aux ordres et aux instructions de son employeur et aux parties au contrat de travail de faire preuve dégards mutuels ; et la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et notamment celle fondée sur la conviction religieuse dans le domaine des relations de travail (accès à lemploi, conditions de travail, rupture des relations de travail, etc.) tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Au sens de la loi du 10 mai 2007, une distinction directe (celle qui se produit lorsque, sur la base dun critère protégé, une personne est traitée de manière moins favorable quune autre personne dans une situation comparable) fondée sur des convictions religieuses ne constitue pas une discrimination prohibée si elle peut être justifiée par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, définies en fonction de la nature des activités professionnelles spécifiques concernées ou du contexte dans lequel celles-ci sont exécutées. Une distinction indirecte (celle qui se produit lorsquune disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre, est susceptible dentraîner, par rapport à dautres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par lun des critères protégés) fondée sur des convictions religieuses est quant à elle autorisée et ne constitue pas une discrimination prohibée si la disposition, le critère ou la pratique apparemment neutre est objectivement justifié par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriées et nécessaires.
Sur la table, deux questions concrètes sur les codes vestimentaires.
1. Le code vestimentaire qui interdit explicitement le port du voile opère-t-il une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses ?
Dans la mesure où le voile nest pas à proprement parler un critère protégé par la loi du 10 mai 2007, la réponse devrait en principe être négative. Ceci étant, le critère de conviction religieuse nétant pas défini par le législateur, on pourrait soutenir quil englobe aussi les modalités dexpression et de manifestation de cette conviction, en ce compris le port du foulard qui est inspiré ou motivé par la religion musulmane. Dans ce dernier cas, la distinction directe ne pourrait être justifiée que par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, ce qui sera difficile à démontrer sauf cas très exceptionnels comme les organisations dont le fondement repose sur une conviction religieuse particulière.
2. Le code vestimentaire qui impose une tenue "neutre" (ce qui implique linterdiction de porter le voile) opère-t-il une discrimination indirecte fondée sur les convictions religieuses ?
Appelée à connaître de la question, la Cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 15 janvier 2008, a décidé quun code vestimentaire "neutre" opérait certes une distinction indirecte mais que celle-ci ne constituait pas une discrimination prohibée par la loi du 10 mai 2007 dès lors que le code était justifié par des considérations objectives propres à limage de marque commerciale de lentreprise qui se présentait comme "ouverte, disponible, sobre, familiale et neutre". Lappréciation du caractère légitime du but poursuivi dépendra de lobjet social de lentreprise, du lieu de travail, de la fonction de la travailleuse, etc. Le caractère sera légitime si le but poursuivi est de garantir limage de lentreprise dans ses contacts commerciaux ou la sécurité. Il est en toutes hypothèses recommandé que lemployeur inscrive les buts quil poursuit et les moyens quil met en uvre dans les statuts et dans le règlement de travail en veillant à ne pas stigmatiser une seule catégorie de travailleurs.
Pour conclure, retenons que la balance des intérêts entre ceux de lentreprise dune part et ceux des travailleurs dans lexpression de leurs libertés dautre part, est un exercice extrêmement difficile en ce quelle touche à des principes fondamentaux de notre société démocratique en constante évolution.
Mis en ligne le 27/06/2010
Selon une enquête menée en 2008, 71 % des entreprises sondées seraient réticentes à donner suite à la candidature dune travailleuse désireuse de porter le voile islamique (1). Les entreprises sont, par ailleurs, souvent tentées dimposer un code vestimentaire "neutre" afin dinterdire le port du voile ou du foulard sur le lieu de travail.
La problématique du port du voile sur le lieu de travail met en effet en présence plusieurs principes, parfois difficilement conciliables, inscrits dans différents instruments juridiques, parmi lesquels : la Convention européenne des droits de lhomme et la Constitution belge qui consacrent la liberté de religion et celle de manifester ses convictions religieuses ainsi que le droit au respect de la vie privée ; la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail qui impose au travailleur dagir conformément aux ordres et aux instructions de son employeur et aux parties au contrat de travail de faire preuve dégards mutuels ; et la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et notamment celle fondée sur la conviction religieuse dans le domaine des relations de travail (accès à lemploi, conditions de travail, rupture des relations de travail, etc.) tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Au sens de la loi du 10 mai 2007, une distinction directe (celle qui se produit lorsque, sur la base dun critère protégé, une personne est traitée de manière moins favorable quune autre personne dans une situation comparable) fondée sur des convictions religieuses ne constitue pas une discrimination prohibée si elle peut être justifiée par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, définies en fonction de la nature des activités professionnelles spécifiques concernées ou du contexte dans lequel celles-ci sont exécutées. Une distinction indirecte (celle qui se produit lorsquune disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre, est susceptible dentraîner, par rapport à dautres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par lun des critères protégés) fondée sur des convictions religieuses est quant à elle autorisée et ne constitue pas une discrimination prohibée si la disposition, le critère ou la pratique apparemment neutre est objectivement justifié par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriées et nécessaires.
Sur la table, deux questions concrètes sur les codes vestimentaires.
1. Le code vestimentaire qui interdit explicitement le port du voile opère-t-il une discrimination directe fondée sur les convictions religieuses ?
Dans la mesure où le voile nest pas à proprement parler un critère protégé par la loi du 10 mai 2007, la réponse devrait en principe être négative. Ceci étant, le critère de conviction religieuse nétant pas défini par le législateur, on pourrait soutenir quil englobe aussi les modalités dexpression et de manifestation de cette conviction, en ce compris le port du foulard qui est inspiré ou motivé par la religion musulmane. Dans ce dernier cas, la distinction directe ne pourrait être justifiée que par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, ce qui sera difficile à démontrer sauf cas très exceptionnels comme les organisations dont le fondement repose sur une conviction religieuse particulière.
2. Le code vestimentaire qui impose une tenue "neutre" (ce qui implique linterdiction de porter le voile) opère-t-il une discrimination indirecte fondée sur les convictions religieuses ?
Appelée à connaître de la question, la Cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 15 janvier 2008, a décidé quun code vestimentaire "neutre" opérait certes une distinction indirecte mais que celle-ci ne constituait pas une discrimination prohibée par la loi du 10 mai 2007 dès lors que le code était justifié par des considérations objectives propres à limage de marque commerciale de lentreprise qui se présentait comme "ouverte, disponible, sobre, familiale et neutre". Lappréciation du caractère légitime du but poursuivi dépendra de lobjet social de lentreprise, du lieu de travail, de la fonction de la travailleuse, etc. Le caractère sera légitime si le but poursuivi est de garantir limage de lentreprise dans ses contacts commerciaux ou la sécurité. Il est en toutes hypothèses recommandé que lemployeur inscrive les buts quil poursuit et les moyens quil met en uvre dans les statuts et dans le règlement de travail en veillant à ne pas stigmatiser une seule catégorie de travailleurs.
Pour conclure, retenons que la balance des intérêts entre ceux de lentreprise dune part et ceux des travailleurs dans lexpression de leurs libertés dautre part, est un exercice extrêmement difficile en ce quelle touche à des principes fondamentaux de notre société démocratique en constante évolution.