Les «tetas» sont le signe des pénuries et des prix forts
«Ou on s’habille, ou on mange», soupire Maria Gabriela, 37 ans, une jeune fonctionnaire du Ministère de l’éducation qui jusque-là n’avait jamais manqué de rien. Il ne sait plus quoi répondre à son fils quand il lui demande:
«Il n’y a pas de pain? Alors pourquoi tu ne vas pas en acheter?»
Du pain, en ce moment, il n’y en a presque pas à Caracas, la capitale du pays. Le gouvernement distribue au compte-gouttes la farine à prix contrôlé. Les boulangers sont obligés de s’approvisionner en petite quantité au marché parallèle, à un prix 20 fois plus élevé. Ils ne font pas de pain car ils seraient obligés de vendre à perte. Dans les boulangeries, on trouve à un prix plus libre, des pâtisseries et des pains fourrés un peu élaborés qui tentent d’égayer les vitrines clairsemées. «Le Venezuela n’a jamais produit de blé, la farine est importée. Sauf que le gouvernement n’a plus de devises pour en acheter», explique Carlos Coelho, boulanger du quartier El Marques dans le nord-est de la capitale. Il n’a reçu aucun sac de farine de l’Etat depuis deux mois.
Autour du marché de Quinta Crespo – le principal et le plus ancien de Caracas – une dizaine d’hommes et de femmes fouillent les poubelles. Une scène qui se répète dans de nombreux quartiers, riches ou populaires, à la nuit tombée. Un peu plus loin, Jenny, tente de vendre sur un journal posé à même le sol, quelques carottes défraîchies.
Un peu plus loin, entre les étals de fruits et légumes, de jeunes vendeurs proposent de café et de sucre, présentés dans des petits sacs en plastique nommés «tetas» (seins) emblématiques des pénuries, de l’explosion du coût de la vie et du marché noir. Douze œufs valent 6000 bolivars, soit à peine plus d’un dollar changé au marché noir. Mais c’est aussi 2,5% du salaire minimum mensuel. Le salaire minimum vénézuélien – 65 000 bolivars auxquels il faut ajouter 130 000 bolivars d’allocations alimentaires, soit 140 dollars au taux officiel, ou 40 dollars au marché noir – a été augmenté de 60% le 1er mai, pour la 14e fois depuis que le président Maduro est au pouvoir. Pour la 3e fois depuis le début de l’année, il permet à peine de survivre. Car le panier de la ménagère est lui estimé à 600 000 bolivars. Pour compenser, le gouvernement vend à travers des Comités Locaux d’Approvisionnements et de Production (CLAP) des denrées de première nécessité à prix contrôlé pour 6 millions de familles.
Teresa R., 60 ans, est une habitante du quartier populaire de Caricuao au sud-ouest de Caracas. Elle a reçu «son sac CLAP» ce matin. Cette Chaviste convaincue, soutien indéfectible de l’héritier désigné, dit se sentir «aussi heureuse qu’une millionnaire», tandis que son neveu lève les yeux au ciel d’incrédulité. Elle peste contre les «cacerolazos» (concerts de casseroles) de protestation contre le gouvernement qui ont lieu de plus en plus souvent, dans les barres de logements situés en contrebas. Elle admet toutefois que la situation est «terrible» en énumérant le contenu du sac de denrées subventionnées qu’elle a pu acquérir pour 10 000 bolivars: 2 kg de lait en poudre, 2 kg de farine de maïs, 2 kg de sucre, 6 paquets de pâtes, 2 kg de riz, 1 sauce tomate. Un sac qu’elle reçoit «tous les 40 jours» et qui ne suffit évidemment pas à nourrir la famille.
Une professeure de langue montre la liste de médicaments nécessaires à la famille sur son téléphone portable: antibiotique, médicaments pour la prostate, protecteur gastrique, antidouleurs.
Cette sociologue – qui se revendique chaviste – se brosse les dents «avec de l’huile de coco» puisqu’on ne trouve plus de dentifrice depuis le mois de février à Caracas.
Un assureur très bourgeois confie avoir traversé la moitié de la ville pour «un paquet de dix pains à sandwich».
Une institutrice d’un quartier très populaire voit, impuissante, arriver depuis quelques mois cinq à six enfants de sa classe de 29 élèves qui n’ont pas mangé le matin…
Dix-huit ans après l’avènement d’Hugo Chavez au pouvoir, tous les indicateurs sont au rouge: croissance négative, pauvreté qui atteint 82%, inflation de 720%. La ministre de la Santé a même été remerciée il y a quelques semaines après la divulgation d’un bulletin expliquant que la mortalité infantile avait augmenté de 30% entre 2015 et 2016.
http://www.tdg.ch/monde/ameriques/deuil-devons-stopper-spirale-violence/story/26329224