À la mémoire de Naïma El Bezaz, écrivaine maroco-neerlandaise, mère de deux enfants, décédée vendredi 7 août 2020, à l'âge de 46 ans, victime des harcèlements répétitifs des extrémistes de sa communauté, qui souvent la menaçaient de mort parce que ses écrits dérangeaient.
Suite à une longue dépression dûe à l'incompréhension, à l'intolérance, à la persécution, elle s'est donné une mort atroce en se jetant du sixième étage.
Elle a écrit et publié, notamment : La Route du Nord (1995) ; Maîtresse du diable (2002) ; Le Paria (2006) ; Le Syndrome du bonheur (2007) ; Vinex Woman (2010) ; Au Service du diable (2013).
Paix à son âme. Amen.
( Titre : Regard Posthume. - Mohammed Talbi -)
Vous avez mille fois raison, mes frères de sang : je ne mérite ni cortège, ni oraison, car c'est moi qui n'avais pas bien assimilé la leçon !
Oh, oui ! De satisfaction, vous devez de la main droite vous lisser la barbe maintenant, en pensant :
" Louange à Dieu Tout Puissant ! On l'a bien eue, cette mécréante qui à Satan lui-même donnait des frissons ! "
Et de la gauche, en catimini, vous farfouillez sous la djellaba dans votre bas-ventre, chatouillez fièrement la phallocratie qui depuis des siècles pendouille sous votre caleçon,
Si vous en portez un, bien sûr, car à ce que j'ai ouï dire, vos femmes adorent quand vous leur criez : " C'est haram, tout comme l'indécence, la nudité, la concupiscence, la lasciveté, la médisance, l'usure, les jeux, le porc, et les boissons " ;
Soyez sans crainte, je ne regarde pas là où il ne faut pas, je salirais sinon mon regard, resté vrai, sincère, pur, bien que ma brève vie connût de nombreux déboires,
Je n'avais pas choisi de venir parmi des gens qui méconnaissaient tout de leur vraie histoire, se déchiraient frères ennemis pour des frontières illusoires,
Un peuple berbère, les Libyens, les Numides, les Maures, les Gétules, les Garamantes, qui subit bien des avatars,
Depuis l'invasion romaine, la christianisation, l'agression vandale, la conquête arabe, l'islamisation, l'impérialisme occidental, le génocide colonial, que reste-t-il de votre identité dérisoire, si l'on y ajoute les flux migratoires ?
Au lieu de vaillamment aller la reconquérir, votre antique gloire, comme des marionnettes, vous suivez le mouvement de vos manipulateurs médiévaux, lâches de vos valeureux ancêtres souillez la mémoire,
Que restera-t-il de la haine que vous semez dans le coeur de vos enfants nés pour aimer, mais dont les rêves sont tout peints de noir ?
Et dire que vous avez vu le jour et grandi sous des cieux cléments, où toutes les conditions étaient bonnes pour qui voulait s'instruire, s'épanouir, diversifier son savoir !
Mais au lieu de cela, ou bien vous vous êtes abandonnés au vice, à la criminalité, au banditisme, ou bien, sous prétexte de défendre vos valeurs contre la débauche ambiante, vous vous êtes livrés aux extrémistes corps et âme, et vous êtes esclaves d'eux, non de Dieu, sans le savoir ;
Quoi ? Que je fasse attention à mon langage ? Mais ça y est, mes frères musulmans, les jeux sont faits ! J'ai sauté du sixième étage, et je suis morte, depuis longtemps,
Tragique comme Antigone face à Créon, pour ma liberté d'être, ma liberté de penser, jusqu'au bout, j'ai porté le défi, et à ma façon, kamikaze je suis, cela s'entend,
Je ne vous regarde pas, soyez sans crainte, vous qui avez peur d'aimer, qui menaciez de me tuer, H'mad, Mouhammad, M'hand, Mouhand, et tous ceux et toutes celles qui ne me connaissent pas et qui pourtant me haïssent tant,
Je regarde les gens que j'ai aimés et qui m'ont aimée, je regarde mourir l'espoir pour lequel je suis née, je regarde mes enfants, mes pauvres enfants, et la ****** de vie qui les attend...
- Mohammed Talbi