12 000 hectares dexploitations agricoles, des centaines de produits (fromages, saumon, fruits et légumes, khliî
), 130 milliards de chiffre daffaires annuel
Les Domaines Royaux sont un royaume dans le royaume. TelQuel en perce le mystère.
Jeudi 27 novembre, la sixième édition du Salon international des fruits et légumes (Sifel Maroc) est lancée à Agadir. Le gotha des entreprises dagroalimentaire y exposent leurs derniers produits. Les exposants font de leur mieux et redoublent dingéniosité pour attirer un
maximum de visiteurs. Et pour cause, cest ici que se scellent les transactions les plus importantes de lannée.
Bien entendu, un stand attire spécialement la foule. On ne peut pas passer devant sans sy attarder un peu. Forcément. Cest juste LE stand, celui des Domaines agricoles, anciennement Domaines Royaux. Le nom ne laisse pas indifférent, le groupe non plus. Mastodonte pour ses admirateurs, pieuvre boulimique et tentaculaire pour ses détracteurs, les Domaines Royaux sont convoités, jalousés. Et craints. Parce que tous y voient, derrière, la main du Palais. Il faudrait être aveugle pour ne pas la voir, cette main Avec un chiffre daffaires estimé à 150 millions de dollars (1,3 milliard de dirhams) dont les deux-tiers à lexportation, notamment des agrumes, un parc global de (plus de) 12 000 hectares, 2000 salariés dont 200 cadres, les Domaines sont le champion national en matière dagriculture et dagroalimentaire.
Cest bien à un mégagroupe agricole riche et diversifié que lon a affaire. Et il y a, quelque part, de quoi en être fier. Les Domaines, comme on les appelle communément, rayonnent au-delà des frontières et hissent haut les couleurs du royaume. Cest tout ? Non, il y a de quoi sinquiéter aussi. Car la question tourne, rôde, comme une obsession : et si la taille écrasante des Domaines constituait un obstacle à la libre concurrence, un frein au développement sain et équilibré du tissu agricole ?
Interrogation juste et objective. Les Domaines ont longtemps constitué un frein au développement avant que le holding royal, à la faveur du changement de règne, nopère une volte-face dans sa politique de gestion. Heureusement.
Bienvenue à la boutique des Domaines
Route de Dar Bouazza, dans la banlieue sud de Casablanca, un portail de fer souvre pour laisser le passage à quelques voitures. A lintérieur sétend une grande cour où des caddies sont dispersés ici et là autour dune petite bâtisse : bienvenue, mesdames et messieurs, dans le premier magasin des Domaines. On y trouve un peu de tout. Des étalages de fruits et légumes, des produits protégés biologiquement (ça existe !), de la truite du Moyen-Atlas, du khliî de Fès, du veau de lait, du miel, de lhuile dolive extra-vierge, etc. Bref, tout ce qui fait le bonheur des amoureux du terroir. Je viens une fois par semaine pour y faire mes courses, nous explique une cinquantenaire BCBG, cliente régulière croisée ce jour-là dans la boutique des Domaines. Curiosité : même si le magasin existe depuis des années, seuls quelques initiés le connaissent. Parce que lexplication est simple : les Domaines agricoles ne communiquent (presque) pas.
Filiale du holding royal Siger, les Domaines sont en effet un des groupes royaux les moins connus. Entourée dun halo de mystère, lentreprise fait rarement parler delle. On sait quelle existe, on connaît globalement son rayon dactivité, cest à peu près tout. Impossible daller plus loin. Les chiffres, surtout, restent un sujet généralement tabou, les Domaines adorent entretenir le mystère autour de leurs affaires, explique un ancien cadre de lentreprise, un des rares à ne pas observer la règle dune omerta diffuse, non déclarée.
Dans son temps, le patron des Domaines, Hassan II, a abordé le sujet en tout et pour tout une fois, à loccasion dune interview accordée au quotidien français Le Figaro. Cétait en 1996. A la question Etes-vous un grand propriétaire terrien ?, le roi répond, pince-sans-rire, avec son flegme habituel : Oui (je suis un grand propriétaire), mais jen ai le droit. Tout est enregistré au cadastre, jai hérité le tout de mon père, jai acheté des propriétés, je distribue des salaires, je participe à lexportation de nos produits agricoles, jai des fermes expérimentales dans lesquelles je dépense moi-même mon propre argent. Tout est dit.
Direct aux cuisines royales
Créés en 1960, Les Domaines constituent un des principaux producteurs - exportateurs de fruits et légumes au Maroc, et leurs principales activités sont fortement attachées à la notion de terroir. Orientés vers larboriculture, la céréaliculture, les activités délevage, les produits laitiers et la fourniture pour la parfumerie haut de gamme de plantes aromatiques et dhuiles essentielles, Les Domaines représentent la marque mère de plusieurs marques dérivées. Exemples des Chergui, Tiyya ou, plus surprenant, le Royal Golf de Marrakech qui représente à lui le pôle loisirs de lentreprise.
Les Domaines disposent par ailleurs de plusieurs exploitations dont la plus célèbre, celle de Douiet dans la région de Fès, fournit le fameux Chergui. Cest l'unique marque de produits laitiers qui a droit de cité dans les cuisines royales depuis des décennies, confie un fin connaisseur des Domaines. Abritant un pavillon royal, Douiet s'étend sur plusieurs centaines d'hectares et compte en son sein un lac de cent hectares. Le domaine dit de la Résidence du lac, à Salé, fournit pour sa part, au palais royal, des fruits et végétaux.
Les domaines de Douiet et de Salé étaient dailleurs les deux fermes préférée de feu Hassan II. Il y passait beaucoup de temps, surtout dans les domaines de la région de Fès. Cest ici, à Douiet, que le roi aimait se retirer, surtout dans les derniers mois de sa vie, pour lire le Coran, nous confie un employé du domaine. On raconte même que le roi défunt sest prêté à plusieurs reprises, et de bonne grâce, à des séances photo avec les employés du domaine. Ce que notre source confirme dun sourire gêné, lair de nous dire : Vous navez pas le droit de tout savoir
Une agriculture high-tech
Alors que dans les années 1960, la gestion de lentreprise est une chasse gardée des Français, un changement de tendance a bien été amorcé à la faveur de la deuxième grande vague de marocanisation. Les années 1970, donc. Larrivée des premières promotions dingénieurs et de techniciens agronomes, qui affluaient à lépoque, a beaucoup fait évoluer les choses, nous confie notre source. Les Domaines, qui portaient à lépoque lappellation pompeuse de Domaines Royaux, se distinguaient déjà, en comparaison avec la masse des Domaines non royaux, par un certain côté high-tech. Cest dans les Domaines royaux qua été expérimentée, pour la première fois, la culture hors sol quils sont dailleurs les seuls à pratiquer jusquà maintenant, même sils en font bénéficier malgré tout dautres agriculteurs, sextasie un exploitant agricole. Lirrigation par pivot, la technique du goutte à goutte, la biotechnologie, les cultures sous serre : tous les moyens sont bons pour doper les Domaines et leur assurer une productivité performante, en tout cas parfaitement alignée sur les standards internationaux.
Cela dit, malgré toute lattention qui leur a été portée par Hassan II, les Domaines ne connaîtront leur véritable heure de gloire que sous Mohammed VI, au style moins spectaculaire mais plus rationnel. En fait, cest de toute la différence (entre les deux rois) dans la gestion des affaires quil sagit. Hassan II était plus occupé à asseoir son règne quà faire fructifier ses affaires, nous résume ainsi cet observateur du parcours des deux rois.
Jeudi 27 novembre, la sixième édition du Salon international des fruits et légumes (Sifel Maroc) est lancée à Agadir. Le gotha des entreprises dagroalimentaire y exposent leurs derniers produits. Les exposants font de leur mieux et redoublent dingéniosité pour attirer un
maximum de visiteurs. Et pour cause, cest ici que se scellent les transactions les plus importantes de lannée.
Bien entendu, un stand attire spécialement la foule. On ne peut pas passer devant sans sy attarder un peu. Forcément. Cest juste LE stand, celui des Domaines agricoles, anciennement Domaines Royaux. Le nom ne laisse pas indifférent, le groupe non plus. Mastodonte pour ses admirateurs, pieuvre boulimique et tentaculaire pour ses détracteurs, les Domaines Royaux sont convoités, jalousés. Et craints. Parce que tous y voient, derrière, la main du Palais. Il faudrait être aveugle pour ne pas la voir, cette main Avec un chiffre daffaires estimé à 150 millions de dollars (1,3 milliard de dirhams) dont les deux-tiers à lexportation, notamment des agrumes, un parc global de (plus de) 12 000 hectares, 2000 salariés dont 200 cadres, les Domaines sont le champion national en matière dagriculture et dagroalimentaire.
Cest bien à un mégagroupe agricole riche et diversifié que lon a affaire. Et il y a, quelque part, de quoi en être fier. Les Domaines, comme on les appelle communément, rayonnent au-delà des frontières et hissent haut les couleurs du royaume. Cest tout ? Non, il y a de quoi sinquiéter aussi. Car la question tourne, rôde, comme une obsession : et si la taille écrasante des Domaines constituait un obstacle à la libre concurrence, un frein au développement sain et équilibré du tissu agricole ?
Interrogation juste et objective. Les Domaines ont longtemps constitué un frein au développement avant que le holding royal, à la faveur du changement de règne, nopère une volte-face dans sa politique de gestion. Heureusement.
Bienvenue à la boutique des Domaines
Route de Dar Bouazza, dans la banlieue sud de Casablanca, un portail de fer souvre pour laisser le passage à quelques voitures. A lintérieur sétend une grande cour où des caddies sont dispersés ici et là autour dune petite bâtisse : bienvenue, mesdames et messieurs, dans le premier magasin des Domaines. On y trouve un peu de tout. Des étalages de fruits et légumes, des produits protégés biologiquement (ça existe !), de la truite du Moyen-Atlas, du khliî de Fès, du veau de lait, du miel, de lhuile dolive extra-vierge, etc. Bref, tout ce qui fait le bonheur des amoureux du terroir. Je viens une fois par semaine pour y faire mes courses, nous explique une cinquantenaire BCBG, cliente régulière croisée ce jour-là dans la boutique des Domaines. Curiosité : même si le magasin existe depuis des années, seuls quelques initiés le connaissent. Parce que lexplication est simple : les Domaines agricoles ne communiquent (presque) pas.
Filiale du holding royal Siger, les Domaines sont en effet un des groupes royaux les moins connus. Entourée dun halo de mystère, lentreprise fait rarement parler delle. On sait quelle existe, on connaît globalement son rayon dactivité, cest à peu près tout. Impossible daller plus loin. Les chiffres, surtout, restent un sujet généralement tabou, les Domaines adorent entretenir le mystère autour de leurs affaires, explique un ancien cadre de lentreprise, un des rares à ne pas observer la règle dune omerta diffuse, non déclarée.
Dans son temps, le patron des Domaines, Hassan II, a abordé le sujet en tout et pour tout une fois, à loccasion dune interview accordée au quotidien français Le Figaro. Cétait en 1996. A la question Etes-vous un grand propriétaire terrien ?, le roi répond, pince-sans-rire, avec son flegme habituel : Oui (je suis un grand propriétaire), mais jen ai le droit. Tout est enregistré au cadastre, jai hérité le tout de mon père, jai acheté des propriétés, je distribue des salaires, je participe à lexportation de nos produits agricoles, jai des fermes expérimentales dans lesquelles je dépense moi-même mon propre argent. Tout est dit.
Direct aux cuisines royales
Créés en 1960, Les Domaines constituent un des principaux producteurs - exportateurs de fruits et légumes au Maroc, et leurs principales activités sont fortement attachées à la notion de terroir. Orientés vers larboriculture, la céréaliculture, les activités délevage, les produits laitiers et la fourniture pour la parfumerie haut de gamme de plantes aromatiques et dhuiles essentielles, Les Domaines représentent la marque mère de plusieurs marques dérivées. Exemples des Chergui, Tiyya ou, plus surprenant, le Royal Golf de Marrakech qui représente à lui le pôle loisirs de lentreprise.
Les Domaines disposent par ailleurs de plusieurs exploitations dont la plus célèbre, celle de Douiet dans la région de Fès, fournit le fameux Chergui. Cest l'unique marque de produits laitiers qui a droit de cité dans les cuisines royales depuis des décennies, confie un fin connaisseur des Domaines. Abritant un pavillon royal, Douiet s'étend sur plusieurs centaines d'hectares et compte en son sein un lac de cent hectares. Le domaine dit de la Résidence du lac, à Salé, fournit pour sa part, au palais royal, des fruits et végétaux.
Les domaines de Douiet et de Salé étaient dailleurs les deux fermes préférée de feu Hassan II. Il y passait beaucoup de temps, surtout dans les domaines de la région de Fès. Cest ici, à Douiet, que le roi aimait se retirer, surtout dans les derniers mois de sa vie, pour lire le Coran, nous confie un employé du domaine. On raconte même que le roi défunt sest prêté à plusieurs reprises, et de bonne grâce, à des séances photo avec les employés du domaine. Ce que notre source confirme dun sourire gêné, lair de nous dire : Vous navez pas le droit de tout savoir
Une agriculture high-tech
Alors que dans les années 1960, la gestion de lentreprise est une chasse gardée des Français, un changement de tendance a bien été amorcé à la faveur de la deuxième grande vague de marocanisation. Les années 1970, donc. Larrivée des premières promotions dingénieurs et de techniciens agronomes, qui affluaient à lépoque, a beaucoup fait évoluer les choses, nous confie notre source. Les Domaines, qui portaient à lépoque lappellation pompeuse de Domaines Royaux, se distinguaient déjà, en comparaison avec la masse des Domaines non royaux, par un certain côté high-tech. Cest dans les Domaines royaux qua été expérimentée, pour la première fois, la culture hors sol quils sont dailleurs les seuls à pratiquer jusquà maintenant, même sils en font bénéficier malgré tout dautres agriculteurs, sextasie un exploitant agricole. Lirrigation par pivot, la technique du goutte à goutte, la biotechnologie, les cultures sous serre : tous les moyens sont bons pour doper les Domaines et leur assurer une productivité performante, en tout cas parfaitement alignée sur les standards internationaux.
Cela dit, malgré toute lattention qui leur a été portée par Hassan II, les Domaines ne connaîtront leur véritable heure de gloire que sous Mohammed VI, au style moins spectaculaire mais plus rationnel. En fait, cest de toute la différence (entre les deux rois) dans la gestion des affaires quil sagit. Hassan II était plus occupé à asseoir son règne quà faire fructifier ses affaires, nous résume ainsi cet observateur du parcours des deux rois.