Bon pour faire sourire chacun chacune sur ce ces pauvres heres ont du vivre comme calvaire (tiré d'un roman de abdellah Taia)
voila ce qu'ils ont du vivre et ce que nous aussi on aurait vecu
je me dirige vers Le Roi avec à mes cotés un gars qui me surveille du coin de l'oeil.
Le Roi tend la main vers moi. Pendant quelques instants sa main reste ainsi, suspendue, en attente. Je sais ce que je dois faire. Mais je ne sais pas comment m’y prendre.
Baiser la main de : c’est le rêve de presque tous les Marocains. Je suis devant ce rêve qui se réalise.
Mais comment l’embrasser, la baiser, cette main royale, propre, tellement propre? Comment? Qui peut me le dire? […]
Je suis abandonné encore une fois.
La main de est toujours en attente. Il faut que je me dépêche. Vite. Vite.
Je baisse la tête. Je fonce.
Je prends la main du Roi dans les miennes. Je suis courbé. Complètement. Parfaitement. Je sens la main de . Je la respire. Quelle chance! Quelle chance!
Je la respire encore plus profondément. Elle est vraiment propre, plus propre que propre. Lavée. Très bien lavée. Avec quel savon? Lux? Palmolive? Dop? Nivea? Le Roi utilise-t-il lui aussi ces savons populaires dont je connais bien l’odeur?
Mon nez est encore dans sa main. Je respire encore et encore. Je renifle. J’entre dans la peau de cette main historique. C’est sûr, elle sent le propre. Le propre. Mais aucune odeur ne se dégage d’elle. Absolument aucune. Si ce n’est celle du propre.
Je suis étonné.
Quoi, le Roi ne sent rien d’autre que le propre? C’est étrange. Vraiment. Il ne se parfume pas? Cela me semble impossible. Il faut continuer à renifler. Profiter de ce moment unique pour découvrir le parfum secret, l’odeur secrète du Roi et de ses mains.
Rempli de courage, je relève la tête pour embrasser l’épaule du Roi. C’est ce que je vais faire. Oui, oui, je vais le faire, je vais le faire. Mais, d’abord, il faut en finir avec cette main propre. La baiser. La baiser bien comme il faut. Selon le protocole que tous les Marocains connaissent par cœur. Sauf moi.
Que faire? Mon Dieu, que faire? Il faut que j’improvise.
Il le faut, il le faut… Je n’ai pas d’autre choix.
Je baise la main de . […] La paume de la main du Roi me sidère: ses lignes sont extraordinaires, des lignes comme je n’en ai jamais vu, des lignes longues, infinies. Je veux les lire. Je n’en ai pas le temps. Je mets mes lèvres dans cette paume immense, un monde à elle seule. J’y dépose trois baisers, rapides, sincères, ravis.
Mission accomplie?
Pas vraiment. Il faut escalader le bras maintenant. Mais est-ce que j’ai bien baisé la main du Roi? L’ai-je honorée comme il se doit? Je n’en sais rien. Je me dis qu’il vaut mieux le savoir maintenant, sinon on ne me laissera pas aller plus haut, vers l’épaule en passant par le bras et le coude du Roi. Découvrir enfin l’odeur royale. La respirer. La mémoriser.
Je dois réfléchir. Vite. Vite.
Je réfléchis. Une seconde. Deux secondes.
Je jette un petit regard à droite. Je suis sauvé? En effet, je le suis. Un des trois serviteurs noirs me montre qu’il faut que je retourne encore une fois la main et la baise sur le dos, trois fois.