@cevino J'ai trouvé une interview où il développe son concept.
Durant votre adolescence, vous éprouvez la difficulté de choisir entre l’Orient et l’Occident au sens où l’entend René Guénon. L’Orient islamique spirituel auquel vous êtes attaché sous l’influence incontestable du soufisme, et l’Occident où vous êtes admis à l’école normale supérieure, temple « profane » de l’université française. Votre Self Islam est-il une réponse intellectuelle à ce dilemme Orient/ Occident ?
Abdennour Bidar : Self islam ne veut pas dire « islam à la carte », « islam en libre-service ». C’est un islam de la responsabilité personnelle, fondé sur une seule question : « Dans l’héritage de ma tradition, de quoi ai-je personnellement besoin, ici et maintenant, pour continuer à me sentir pleinement musulman ? » Je crois que seule une telle question – que chaque individu de culture musulmane est appelé à se poser - peut ouvrir la voie d’un islam compatible avec le principe de liberté individuelle, de liberté de conscience.
Non pas : que disent les docteurs, les oulémas, les imams, mes parents, mes oncles, mes sœurs, mes frères, etc. Leur avis peut être écouté, mais en dernier ressort que me dit ma propre conscience ? Que me dit mon propre cœur ? Comment vivre ma foi, ma culture pour être en accord avec moi-même ? Pour être fier de mon identité, en accord aussi bien avec elle et avec le monde, sans conflit intérieur ni extérieur ? C’est par cette voie de l’interrogation personnelle et de l’autonomie spirituelle que chacun peut échapper au poids de la tradition, et en même temps conserver la maîtrise de sa vie, ne pas se laisser emporter ni par l’oubli, l’indifférence, à sa culture d’origine, ni à l’autre extrême par le repli sur des conceptions « toutes faites » de l’islam.
Que chacun dise sereinement « je pratique le self islam », ce qui veut dire : je n’agis pas de façon aveugle, je ne suis soumis à personne, je fais mes propres choix, je n’ai pas abandonné ma tradition, mais je ne suis ni son esclave, ni celui des coutumes familiales, ni de l’imam du quartier, ni des prédicateurs du Moyen-Orient qui voudraient me dicter ma conduite par parabole. Voilà à mon sens comment l’islam peut entrer de la façon la plus intelligente dans la société globale où la valeur principale est justement le libre choix par chacun de son mode de vie, de ses mœurs – dans la limite du respect d’autrui.
Le self islam n’est donc pas du tout un « nouvel islam », mais une façon de vivre l’islam qui réalise l’accord entre deux impératifs : l’impératif de fidélité à notre héritage, l’impératif d’adhésion au principe de liberté de conscience. Avec le self islam, le dilemme Orient-Occident tombe de lui-même, puisque d’une part l’islam adopte le principe majeur de l’Occident – la liberté absolue du choix personnel – et d’autre part ne se perd pas lui-même – puisque le musulman continue de mener une vie spirituelle, et même la plus consciente, la plus approfondie, la plus responsable qui soit. « Pas de contrainte en religion », combien de fois faudra-t-il citer ce verset pour nul ne soit plus tenté d’imposer aux autres musulmans un seul islam, une seule façon d’être musulman ?
La liberté individuelle a toujours existé en islam, certes. Mais aussi, reconnaissons-le, la pression du groupe, le jugement des autres. Et aussi l’habitude de croire, profondément enracinée en chacune de nos consciences, que le véritable islam est l’obéissance à tout ce que le Coran et la Sunna nous ont transmis, et que les théologiens-juristes ont développé au sein de chacune des grandes écoles juridiques, puis que des générations d’oulémas et d’imams ont imposé, relayés eux-mêmes par la fixation des coutumes.
Ne confondons plus la parole de Dieu avec ce que des siècles d’interprétation humaine lui ont fait dire ! Ne rejetons pas tout cela, mais posons-le sereinement devant nous : droit personnel d’inventaire, devoir personnel de choix. Vis-à-vis du dogme, de la loi (shari ‘a), et de tout ce que l’islam range selon cinq catégories (l’obligatoire, le recommandé, le permis, le déconseillé, l’interdit), que chacun exerce sa responsabilité personnelle, selon la parole coranique « Allah n’impose à chacun que ce qu’il peut porter » (II, 286).
Liberté ne veut pas dire facilité. Liberté ne veut pas dire suppression de la loi – mais intériorisation. Intériorisation du rapport à la loi : c’est de l’intérieur de ma propre conscience spirituelle que la voix d’Allah me parvient, c’est à partir de ma propre liberté spirituelle que je réponds à la sollicitation d’Allah. Que chacun détermine ainsi son propre rapport au dogme et à la loi, selon un critère primordial : de quoi ai-je personnellement besoin pour me sentir en paix ? Avec toutes les questions subsidiaires, et que notre responsabilité, là encore, ne saurait éviter : si je suis en milieu occidental, qu’est-ce qui est compatible avec l’extérieur ? Qu’est-ce qui risque de provoquer l’incompréhension des non-musulmans ? Comment éviter de déclencher l’hostilité ? Comment agir de la façon la plus authentique et pacifique à la fois ?
Personnellement, avec les non-musulmans, je ne me conduis jamais en partant du principe « voilà ma différence, accepte-là », mais toujours en me demandant d’abord « que peut-il comprendre et accepter de ma différence, et comment trouver le moyen de faire malgré tout monde commun avec lui, comment trouver ou constituer des valeurs, des principes partagés ? » Non pas imposer sa différence, ni à l’autre extrême l’abandonner ou la dissimuler, mais se demander si elle est tolérable pour l’autre.
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