Les jeunes diplômés français d'origine maghrébine ou africaine sont de plus en plus nombreux à partir s'installer outre-Manche. Ils trouvent à Londres un emploi et des responsabilités que, souvent, Paris leur refuse.
La crise financière a coûté à Kamel Benhaddou son poste à la City de Londres. Mais ce docteur en physique de 34 ans, né à Dijon, n'en fait pas un drame. Avec les 185 000 euros empochés chez la banque d'affaires américaine Merrill Lynch en 2007, il peut "faire une pause" en attendant des jours meilleurs. Refaire sa vie professionnelle en France après quatre années passées outre-Manche ? Kamel ne l'envisage pas. "Mon expérience de la France est celle de la discrimination sociale, lâche-t-il. Dans mon domaine, si on n'appartient pas à l'élite intellectuelle de Normale sup, de Centrale ou de Polytechnique, on n'a aucune chance de percer. Alors, si on est noir ou arabe..."
Kamel n'est pas une exception. Comme lui, des bataillons de garçons et de filles, nés dans des familles venues du Maghreb ou d'Afrique, prennent chaque année un aller simple pour l'Angleterre. "Malgré leur bac + 5 ou 6, ils subissent de plein fouet la discrimination au patronyme et au faciès, observe Karim Zéribi, conseiller à l'égalité des chances de la SNCF et fondateur d'APC Recrutement, cabinet parisien spécialisé dans la diversité en entreprise. Frustrés et découragés dans leur quête d'emploi, ils vont chercher en Grande-Bretagne des opportunités conformes à leur formation."
En France, décrocher un simple stage relève parfois de l'épreuve. "Je suis sorti major de mon école d'ingénieurs, ex aequo avec une Chinoise, se souvient Marwane, 29 ans, crack des mathématiques financières. Nous avons été les deux derniers à trouver un stage. Dans la banque où je postulais, ce sont les responsables de la salle des marchés, deux Arabes, qui m'ont embauché après avoir lu un de mes travaux... alors que ma candidature avait été retoquée par les ressources humaines !"
De Paris à Londres, un réseau précieux
Ce soir d'été, une dizaine de jeunes cadres français d'origine maghrébine et moyen-orientale se retrouvent au Sfizio, un restaurant italien du quartier de Holborn, à deux pas de la City. Myriam, Madjid, Sonia, Rayan et les autres ont un second point commun : ils sont membres des Dérouilleurs de Londres. Ce réseau est né à Paris en 2004, à l'initiative de Zoubeir Ben Terdeyet, fondateur de la première société française de conseil en finance islamique. Il tire son nom du vocabulaire des cités, où « dérouiller » signifie « prendre son avenir en main », par opposition à « rouiller », équivalent de « tenir les murs ». Le credo de ces cadres ? Se connaître pour s'entraider.
Même combat à Londres, où la première soirée, en février 2007, avait réuni une cinquantaine de personnes. Aujourd'hui, 150 noms figurent dans le fichier électronique de Nadia, 27 ans, la cheville ouvrière des Dérouilleurs dans la capitale britannique. « L'accès à l'information est primordial dans le monde professionnel, souligne cette chef de projet d'une grande banque de la City. Mais, pour savoir qui embauche ou cherche un stagiaire, il faut disposer d'un réseau. » Nadia elle-même est bien placée pour en parler : un Dérouilleur l'a aidée à adapter son CV et sa lettre de motivation aux normes britanniques ; un autre lui a permis de décrocher son premier job.
Anne Vidalie
Pour certains, la recherche d'emploi tourne au parcours du combattant: CV envoyés par centaines, e-mails et appels téléphoniques de relance, visites régulières à l'Association pour l'emploi des cadres. En vain, ou presque. Pendant plus d'un an, Nacira Ferdjoukh, 31 ans, titulaire d'un DESS de psychologie du travail, s'est démenée. Bilan: une seule proposition concrète pour un job d'assistante dans une agence d'intérim. Avant qu'un cabinet londonien, enfin, lui offre un poste de chargée de recrutement. "Pourquoi mon profil n'intéresse-t-il pas les entreprises françaises ? s'interroge-t-elle. Je ne veux pas jouer la carte de la discrimination, mais..."
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La crise financière a coûté à Kamel Benhaddou son poste à la City de Londres. Mais ce docteur en physique de 34 ans, né à Dijon, n'en fait pas un drame. Avec les 185 000 euros empochés chez la banque d'affaires américaine Merrill Lynch en 2007, il peut "faire une pause" en attendant des jours meilleurs. Refaire sa vie professionnelle en France après quatre années passées outre-Manche ? Kamel ne l'envisage pas. "Mon expérience de la France est celle de la discrimination sociale, lâche-t-il. Dans mon domaine, si on n'appartient pas à l'élite intellectuelle de Normale sup, de Centrale ou de Polytechnique, on n'a aucune chance de percer. Alors, si on est noir ou arabe..."
Kamel n'est pas une exception. Comme lui, des bataillons de garçons et de filles, nés dans des familles venues du Maghreb ou d'Afrique, prennent chaque année un aller simple pour l'Angleterre. "Malgré leur bac + 5 ou 6, ils subissent de plein fouet la discrimination au patronyme et au faciès, observe Karim Zéribi, conseiller à l'égalité des chances de la SNCF et fondateur d'APC Recrutement, cabinet parisien spécialisé dans la diversité en entreprise. Frustrés et découragés dans leur quête d'emploi, ils vont chercher en Grande-Bretagne des opportunités conformes à leur formation."
En France, décrocher un simple stage relève parfois de l'épreuve. "Je suis sorti major de mon école d'ingénieurs, ex aequo avec une Chinoise, se souvient Marwane, 29 ans, crack des mathématiques financières. Nous avons été les deux derniers à trouver un stage. Dans la banque où je postulais, ce sont les responsables de la salle des marchés, deux Arabes, qui m'ont embauché après avoir lu un de mes travaux... alors que ma candidature avait été retoquée par les ressources humaines !"
De Paris à Londres, un réseau précieux
Ce soir d'été, une dizaine de jeunes cadres français d'origine maghrébine et moyen-orientale se retrouvent au Sfizio, un restaurant italien du quartier de Holborn, à deux pas de la City. Myriam, Madjid, Sonia, Rayan et les autres ont un second point commun : ils sont membres des Dérouilleurs de Londres. Ce réseau est né à Paris en 2004, à l'initiative de Zoubeir Ben Terdeyet, fondateur de la première société française de conseil en finance islamique. Il tire son nom du vocabulaire des cités, où « dérouiller » signifie « prendre son avenir en main », par opposition à « rouiller », équivalent de « tenir les murs ». Le credo de ces cadres ? Se connaître pour s'entraider.
Même combat à Londres, où la première soirée, en février 2007, avait réuni une cinquantaine de personnes. Aujourd'hui, 150 noms figurent dans le fichier électronique de Nadia, 27 ans, la cheville ouvrière des Dérouilleurs dans la capitale britannique. « L'accès à l'information est primordial dans le monde professionnel, souligne cette chef de projet d'une grande banque de la City. Mais, pour savoir qui embauche ou cherche un stagiaire, il faut disposer d'un réseau. » Nadia elle-même est bien placée pour en parler : un Dérouilleur l'a aidée à adapter son CV et sa lettre de motivation aux normes britanniques ; un autre lui a permis de décrocher son premier job.
Anne Vidalie
Pour certains, la recherche d'emploi tourne au parcours du combattant: CV envoyés par centaines, e-mails et appels téléphoniques de relance, visites régulières à l'Association pour l'emploi des cadres. En vain, ou presque. Pendant plus d'un an, Nacira Ferdjoukh, 31 ans, titulaire d'un DESS de psychologie du travail, s'est démenée. Bilan: une seule proposition concrète pour un job d'assistante dans une agence d'intérim. Avant qu'un cabinet londonien, enfin, lui offre un poste de chargée de recrutement. "Pourquoi mon profil n'intéresse-t-il pas les entreprises françaises ? s'interroge-t-elle. Je ne veux pas jouer la carte de la discrimination, mais..."
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