Mary Louise Roberts : "Le sexe a été une manière d'assurer la domination américaine"

Mary Louise Roberts enseigne a l'université du Wisconsin, à Madison. Elle est spécialiste d'histoire de France et s'intéresse particulièrement à l'histoire des femmes. Son dernier livre, What Soldiers Do. Sex and the American GI in World War II France traite de la Libération et de la violence sexuelle, un aspect de la guerre largement passé sous silence.

Vous avez commencé ce livre juste après les tensions entre la France et les Etats-Unis sur l'intervention en Irak, en 2003. Pourquoi ?

Je voulais voir comment une telle friction avait pu se produire entre ces deux alliés. Du coup, je me suis intéressée à ce qui s'était passé à la fin de la seconde guerre mondiale, notamment après le débarquement. Et là, en consultant les archives, je me suis aperçue que tous les rapports de police montrent la même chose. Il y a eu des viols et des crimes partout où les GI étaient stationnés, à Reims, Cherbourg, Brest, Le Havre, Caen...



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La France est présentée comme une sorte de bordel. Elle est complètement érotisée. Cette image date en fait de la première guerre mondiale. Quand les soldats sont revenus, ils ont raconté des histoires affriolantes. Après, l'armée américaine a "vendu" la guerre comme une occasion de se faire embrasser par des Françaises, et peut-être plus. Ce n'est pas propre à la France, bien sûr. Tous les théâtres de guerre étaient érotisés. C'était l'époque des photos de pin-up accrochées dans les dortoirs, de Rita Hayworth... Mais une image revient avec constance dans le journal de l'armée : les GI entourés par des Françaises. Embrassés par des Françaises. Sur l'une, on voit un groupe de femmes, visiblement réjouies. Et la légende dit : "Voilà ce pour quoi nous nous battons."

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Il s'en est suivi un tsunami de libido masculine, qui va se traduire par des phénomènes de prostitution à grande échelle. Et il y aura une vague de viols en Normandie, en août et septembre 1944.


Quelle a été l'importance des viols ?

Selon les statistiques du chef de la police militaire en Europe, 152 soldats américains ont été traduits en justice pour viols entre juin et octobre 1944. Les commandants essayaient de montrer aux Français qu'ils faisaient quelque chose contre les violences. Mais, en regardant les chiffres, on s'aperçoit que l'armée a surtout poursuivi les soldats noirs en cour martiale. Le chef de la police était lui-même étonné : sur les 152 accusés, 139 étaient des Noirs, soit 75 %, alors qu'ils ne formaient que 10 % des troupes sur le théâtre européen.

Les Etats-Unis ont "racialisé" les viols. Mais il y a eu aussi une part de racisme de la part des Françaises qui portaient ces accusations. Les Noirs ne pouvaient pas occuper des positions de combat. Ils étaient cantonnés aux services, à l'approvisionnement dans les bases de Cherbourg, du Havre, de Caen. Ils avaient davantage de contacts avec la population civile. Il y a eu plus d'occasions de les mettre en accusation. Dans les autres pays, on ne constate pas la même disproportion. En Allemagne, la proportion de Noirs envoyés pour viol devant des cours martiales était seulement de 26 %.

L'entretien au complet. http://www.lemonde.fr/international...er-la-domination-americaine_3449668_3210.html
 
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