Bonjour
Je relisais le Discours de métaphysique de Leibniz, et j'ai remarqué un passage intéressant, qui envisage une sorte de paradoxe.
Voici le texte :
«««
Mais l'âme intelligente, connaissant ce qu'elle est, et pouvant dire ce MOI, qui dit beaucoup, ne demeure pas seulement et subsiste métaphysiquement, bien plus que les autres, mais elle demeure encore la même moralement et fait le même personnage. Car c'est le souvenir, ou la connaissance de ce moi, qui la rend capable de châtiment et de récompense. aussi l'immortalité qu'on demande dans la morale, et dans la religion, ne consiste pas dans cette subsistance perpétuelle toute seule qui convient à toutes les substances, car sans le souvenir de ce qu'on a été, elle n'aurait rien de souhaitable. Supposons que quelque particulier doive devenir tout d'un coup Roi de la Chine, mais à condition d'oublier ce qu'il a été, comme s'il venait de naître tout de nouveau; n'est-ce pas autant dans la pratique, ou quant aux effets dont on se peut apercevoir, que s'il devait être anéanti, et qu'un Roi de la Chine devait être créé dans le même instant à sa place? Ce que ce particulier n'a aucune raison de souhaiter.
»»»
(XXXIV)
Donc voilà ce paradoxe, c'est comme si l'identité personnelle était liée, non à un principe métaphysique comme une âme immatérielle et immortelle, mais essentiellement à la mémoire, aux souvenirs, au lien que nous, comme sujets, maintenons avec notre passé (et ces souvenirs ont une réalité matérielle dans notre cerveau).
Et c'est aussi cela qui fait que nous sommes responsables de nos actes, que notre « moi » présent peut répondre des choix de notre « moi » passé. Il n'y a donc pas beaucoup de sens d'intenter un procès pour un crime ancien à une personne qui aurait la maladie d'Alzheimer... du moins la question mérite d'être soulevée.
Dans l'exemple de Leibniz du roi de Chine, si on prend un individu et qu'on efface tous ses souvenirs, et qu'on le transplante dans un tout nouveau milieu, il y aura certes, en un sens, une continuité physique, mais en quel sens s'agit-il de la même personne? Ce nouveau roi de Chine aura-t-il à répondre des crimes de l'ancien moi? Ou à payer ses dettes? Aura-t-il des obligations envers les enfants que l'ancien moi a eus? Mais en quel sens lui imputer une responsabilité pour des choix et des actes dont il n'a aucune idée, aucun moyen de se souvenir, et qui peut-être ne cadrent même pas avec sa nouvelle personnalité, son nouveau caractère?
La même objection peut être faite à la théorie bouddhiste du karma, puisque selon les bouddhistes, on paie dans cette vie pour des fruits karmiques de décisions prises dans nos vies antérieures, dont cependant on n'a pas le moindre souvenir! Pire, la majorité des bouddhistes disent que le « moi » n'existe pas comme entité permanente. Ce qui, dans ce cas, revient à dire que quelqu'un est puni pour les fautes de quelqu'un d'autre... un peu comme si on accusait le locataire d'un logement de problèmes causés par l'ancien locataire, que le premier n'a même pas connu!!
Mais même pour les chrétiens, Juifs, musulmans : si une personne à 35 ans perd complètement la mémoire de son ancienne vie, et qu'il recommence sa vie sur d'autres bases à partir de ce moment-là, comment Dieu le jugera-t-il à sa mort? C'est comme si deux « moi » s'étaient succédé dans le même corps, dont le premier, apparemment, a été « anéanti ».... Et si le « moi » d'avant 35 ans était pieux, mais celui d'après était impie?
Problèmes, problèmes
Je relisais le Discours de métaphysique de Leibniz, et j'ai remarqué un passage intéressant, qui envisage une sorte de paradoxe.
Voici le texte :
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Mais l'âme intelligente, connaissant ce qu'elle est, et pouvant dire ce MOI, qui dit beaucoup, ne demeure pas seulement et subsiste métaphysiquement, bien plus que les autres, mais elle demeure encore la même moralement et fait le même personnage. Car c'est le souvenir, ou la connaissance de ce moi, qui la rend capable de châtiment et de récompense. aussi l'immortalité qu'on demande dans la morale, et dans la religion, ne consiste pas dans cette subsistance perpétuelle toute seule qui convient à toutes les substances, car sans le souvenir de ce qu'on a été, elle n'aurait rien de souhaitable. Supposons que quelque particulier doive devenir tout d'un coup Roi de la Chine, mais à condition d'oublier ce qu'il a été, comme s'il venait de naître tout de nouveau; n'est-ce pas autant dans la pratique, ou quant aux effets dont on se peut apercevoir, que s'il devait être anéanti, et qu'un Roi de la Chine devait être créé dans le même instant à sa place? Ce que ce particulier n'a aucune raison de souhaiter.
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(XXXIV)
Donc voilà ce paradoxe, c'est comme si l'identité personnelle était liée, non à un principe métaphysique comme une âme immatérielle et immortelle, mais essentiellement à la mémoire, aux souvenirs, au lien que nous, comme sujets, maintenons avec notre passé (et ces souvenirs ont une réalité matérielle dans notre cerveau).
Et c'est aussi cela qui fait que nous sommes responsables de nos actes, que notre « moi » présent peut répondre des choix de notre « moi » passé. Il n'y a donc pas beaucoup de sens d'intenter un procès pour un crime ancien à une personne qui aurait la maladie d'Alzheimer... du moins la question mérite d'être soulevée.
Dans l'exemple de Leibniz du roi de Chine, si on prend un individu et qu'on efface tous ses souvenirs, et qu'on le transplante dans un tout nouveau milieu, il y aura certes, en un sens, une continuité physique, mais en quel sens s'agit-il de la même personne? Ce nouveau roi de Chine aura-t-il à répondre des crimes de l'ancien moi? Ou à payer ses dettes? Aura-t-il des obligations envers les enfants que l'ancien moi a eus? Mais en quel sens lui imputer une responsabilité pour des choix et des actes dont il n'a aucune idée, aucun moyen de se souvenir, et qui peut-être ne cadrent même pas avec sa nouvelle personnalité, son nouveau caractère?
La même objection peut être faite à la théorie bouddhiste du karma, puisque selon les bouddhistes, on paie dans cette vie pour des fruits karmiques de décisions prises dans nos vies antérieures, dont cependant on n'a pas le moindre souvenir! Pire, la majorité des bouddhistes disent que le « moi » n'existe pas comme entité permanente. Ce qui, dans ce cas, revient à dire que quelqu'un est puni pour les fautes de quelqu'un d'autre... un peu comme si on accusait le locataire d'un logement de problèmes causés par l'ancien locataire, que le premier n'a même pas connu!!
Mais même pour les chrétiens, Juifs, musulmans : si une personne à 35 ans perd complètement la mémoire de son ancienne vie, et qu'il recommence sa vie sur d'autres bases à partir de ce moment-là, comment Dieu le jugera-t-il à sa mort? C'est comme si deux « moi » s'étaient succédé dans le même corps, dont le premier, apparemment, a été « anéanti ».... Et si le « moi » d'avant 35 ans était pieux, mais celui d'après était impie?
Problèmes, problèmes