Depuis le 2 décembre prochain, une nouvelle traduction du Notre Père est en vigueur dans les églises françaises. Au lieu de murmurer « Ne nous soumets pas à la tentation », les chrétiens diront : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Ce glissement de signification n’est pas anodin. Nous n’en finissons pas de devenir chrétien. La traduction nouvelle révèle une appréhension plus fine de ce skandalon dont le Christ invite à se détourner. La figure de Dieu qui se dessinait implicitement à travers l’ancienne traduction était celle d’un Dieu poussant à la faute, puis punissant ceux qui s’y sont laissé prendre. Un Dieu tentateur – celui dont Girard dénonçait la conception, dans Des choses cachées depuis la fondation du monde : un Dieu nous faisant payer le sacrifice sanglant de son fils, qu’il aurait lui-même ordonné. À présent, Dieu n’a plus de responsabilité dans nos péchés ; nous Lui demanderons seulement de nous donner la force d’y résister.
Dieu n’est pas là pour nous éprouver, vérifier la solidité de notre foi en nous précipitant dans des pièges. C’est le diable qui tente – et le diable n’a pas d’être, il n’est rien d’autre que l’entraînement mimétique lui-même. Nous sommes agis par un mécanisme qui nous dépasse, et notre liberté repose sur notre capacité à lui résister, à inverser la polarité de la réciprocité négative en instaurant le premier geste de la réciprocité positive – sans en passer par le sacrifice, dont c’était la fonction dans le monde archaïque[1]. L’exigeante éthique chrétienne repose sur cette recommandation : résister à cet enchaînement mimétique dont on se croit toujours excusé puisqu’il nous précède ; résister à cette chaîne de violence dont on se croit innocent puisqu’on n’en est qu’un maillon. Résister au mimétisme délétère pour instaurer son contraire, le cercle vertueux du don.
Pour comprendre cette prière, je crois qu’il ne faut pas imaginer de grandes tentations, du genre de celles que Jésus a subies au désert. La tentation dont il s’agit ici, c’est simplement celle du laisser-aller, du laisser-faire. La tentation d’être un miroir de la tension que l’on subit. De rendre sans la modifier la violence qui nous atteint. Se laisser entrer en tentation, c’est maintenir dans son angle mort les offenses que l’on commet par inadvertance, les susceptibilités qu’on froisse par négligence, tous ces instants où l’automaticité des rapports sociaux et l’imperfection de la communication humaine créent des offensés sans qu’il y ait en face, à proprement parler, d’offenseur.
Ce glissement de signification n’est pas anodin. Nous n’en finissons pas de devenir chrétien. La traduction nouvelle révèle une appréhension plus fine de ce skandalon dont le Christ invite à se détourner. La figure de Dieu qui se dessinait implicitement à travers l’ancienne traduction était celle d’un Dieu poussant à la faute, puis punissant ceux qui s’y sont laissé prendre. Un Dieu tentateur – celui dont Girard dénonçait la conception, dans Des choses cachées depuis la fondation du monde : un Dieu nous faisant payer le sacrifice sanglant de son fils, qu’il aurait lui-même ordonné. À présent, Dieu n’a plus de responsabilité dans nos péchés ; nous Lui demanderons seulement de nous donner la force d’y résister.
Dieu n’est pas là pour nous éprouver, vérifier la solidité de notre foi en nous précipitant dans des pièges. C’est le diable qui tente – et le diable n’a pas d’être, il n’est rien d’autre que l’entraînement mimétique lui-même. Nous sommes agis par un mécanisme qui nous dépasse, et notre liberté repose sur notre capacité à lui résister, à inverser la polarité de la réciprocité négative en instaurant le premier geste de la réciprocité positive – sans en passer par le sacrifice, dont c’était la fonction dans le monde archaïque[1]. L’exigeante éthique chrétienne repose sur cette recommandation : résister à cet enchaînement mimétique dont on se croit toujours excusé puisqu’il nous précède ; résister à cette chaîne de violence dont on se croit innocent puisqu’on n’en est qu’un maillon. Résister au mimétisme délétère pour instaurer son contraire, le cercle vertueux du don.
Pour comprendre cette prière, je crois qu’il ne faut pas imaginer de grandes tentations, du genre de celles que Jésus a subies au désert. La tentation dont il s’agit ici, c’est simplement celle du laisser-aller, du laisser-faire. La tentation d’être un miroir de la tension que l’on subit. De rendre sans la modifier la violence qui nous atteint. Se laisser entrer en tentation, c’est maintenir dans son angle mort les offenses que l’on commet par inadvertance, les susceptibilités qu’on froisse par négligence, tous ces instants où l’automaticité des rapports sociaux et l’imperfection de la communication humaine créent des offensés sans qu’il y ait en face, à proprement parler, d’offenseur.