De quand date le concept du « Grand Israël »?
Rachad Antonius : Cela remonte au début de l’idée d’occupation. Quand le projet de fonder un État juif a vu le jour, il y a eu des débats au sein du mouvement sioniste sur les frontières du futur État israélien.
Le consensus était de ne pas indiquer ces frontières pour laisser place à une expansion en cas de victoire lors des guerres.
David Ben Gourion, père fondateur de l'État d'Israël, avait lui-même dit :
On prend ce qu’on peut prendre maintenant, une chèvre à la fois, un dounoum [unité de mesure correspondant à un mètre carré] à la fois.
Depuis le début, il y avait des gens, notamment des religieux extrémistes, qui disaient qu’ils voulaient le « Grand Israël », c’est-à-dire la Cisjordanie, la Jordanie et le Sinaï (en Égypte, NDLR). Il y a un slogan qui dit « du Nil à l’Euphrate ». Ça, c’est le rêve d’une frange extrémiste.
En revanche, la plupart des sionistes voulaient la Palestine mandataire historique (le territoire qui était sous mandat britannique), sans la Transjordanie (la Jordanie) qu’ils allaient laisser aux Palestiniens, plaidant qu’ils faisaient un grand cadeau aux Palestiniens.
Les sionistes pragmatiques optaient pour la résolution 181 de l’ONU (qui a consacré le partage de la Palestine mandataire en deux pays, NDLR), puis pour l'idée de prendre ce qu’ils pouvaient.
Cette résolution de l’ONU donnait 56 % du territoire aux Juifs lors de la guerre israélo-arabe de 1948-1949; ils ont occupé 78 % du territoire. Après cette occupation, ils n’ont pas voulu officialiser les frontières d’Israël, gardant l'idée d’autres expansions dans leur esprit.
Après la guerre de 1967, Menahem Begin, le futur premier ministre d’Israël, avait déclaré : Annexons la terre, mais pas le peuple. En d’autres termes, ils allaient occuper la terre sans l’annexer officiellement, de façon à ne pas être obligés de donner la citoyenneté israélienne aux Palestiniens des zones annexées.
L'idée d’occuper l’ensemble de la Palestine mandataire remonte à une centaine d’années.
Qui défend actuellement cette idée en Israël?
R.A. : Certains groupes religieux (haredim) très idéologiques défendent cette idée, mais la majorité des Israéliens ne la défendent pas.
Cependant, ceux qui la défendent sont les personnes qui sont au pouvoir actuellement. Ce sont les alliés de Benyamin Nétanyahou au gouvernement qui défendent cette idée, mais ils ne le disent pas toujours explicitement.
Ceux-là citent la Thora constamment pour affirmer qu’ils peuvent non seulement prendre l’ensemble des territoires palestiniens, mais qu’ils ont le droit et le devoir de tuer les Palestiniens, y compris les femmes et les enfants.
L’idée du « Grand Israël » est-elle réalisable?
R.A. : L’idée « du Nil à l’Euphrate » n’est pas réalisable du tout à mon avis.
En ce qui concerne la Cisjordanie et Gaza, les Israéliens pensent qu’elle est réalisable en l’imposant au prix de massacres énormes, mais à long terme, d’après moi, elle n’est pas réalisable.
Il y a environ 7 millions de Palestiniens, aucun pays ne voudra absorber 7 millions de personnes.
Ce qui va empêcher ce projet, c’est une opposition à l’intérieur d’Israël. Je prends comme exemple l’ancien président de la Knesset Avraham Burg, qui a publié un texte dans la presse israélienne intitulé :
Peuple juif, révoltez-vous! Il y a des généraux israéliens qui s’opposent au projet de Benyamin Nétanyahou.