Après la mort du prophète Mahomet et la soumission de la péninsule arabe, les musulmans ont conquis les rives méridionales et orientales de la Méditerranée.
Les conquérants arabes? Une poignée de chameliers reçus en libérateurs
Ces conquêtes sont, d'abord, le fait des Arabes d'Arabie, chameliers bédouins qui constitueront la première force militaire de l'islam, sous la direction des chefs de La Mecque, eux-mêmes citadins commerçants et armateurs des grandes caravanes. Hors du désert et des zones de pâturage de la péninsule arabique, les Arabes viseront les pays du Croissant fertile: Mésopotamie, Syrie, Égypte.
Mais, à côté de cet élément arabe, les armées de l'islam s'ouvriront aux contingents levés parmi les populations subjuguées, contingents qui prolongeront le mouvement initial: c'est ainsi que les Iraniens pousseront vers l'Asie centrale, les Syro-Égyptiens vers l'Afrique du Nord, les Berbères d'Afrique du Nord, à leur tour, vers l'Espagne et la Sicile.
L'élément arabe s'est donc limité à une seule vague d'envahisseurs, partis d'un désert et non d'un de ces hinterlands de forêts aux clairières cultivées (Europe centrale) ou de steppes à pâturages (Asie) qui ont toujours constitué le réservoir des envahisseurs barbares dont les vagues successives sont venues s'installer dans un Occident rural, forestier et peu peuplé.
Ici, une poignée de conquérants s'absorbe rapidement, se fond dans des foules urbaines de civilisation supérieure.
Comment expliquer la facilité et la rapidité de cette conquête?
Les Arabes avaient en fait toutes chances d'être accueillis comme des libérateurs par les vieilles populations du monde sémitique de Syrie et de Mésopotamie et par les Égyptiens. Ces peuples, outre la parenté ethnique et linguistique qui liait certains d'entre eux aux Arabes, étaient soumis depuis longtemps à Rome puis à Byzance à l'ouest, à l'Empire perse sassanide à l'est. Ils étaient en état de révolte permanente contre les administrations de Constantinople et de Ctésiphon; révolte, comme toujours en Orient, à coloration religieuse et à fond social. Le domaine byzantin est secoué par des hérésies; le nestorianisme et le monophysisme surtout s'opposent à l'orthodoxie dirigeante. Dans le domaine sassanide se développent le manichéisme, le judaïsme et le christianisme, toutes confessions dirigées contre la religion officielle, le mazdéisme.
Or, les tendances démocratiques, égalitaires et cosmopolites du message islamique répondaient à ces mouvements de révolte sociale et religieuse. D'où, partiellement du moins, la facilité de la conquête
Le souci d'ordre et de paix pousse aussi les populations citadines à se rallier au conquérant, dont elles attendent une protection contre l'anarchie et les déprédations des nomades. La seule résistance opiniâtre viendra finalement des Berbères qui, comme ils s'étaient jadis soulevés face à Carthage et face à Rome, et comme ils se soulèveront plus tard face aux Turcs, resteront toujours, face à la domination musulmane, en état de résistance ouverte ou larvée.
Les rapports avec les peuples soumis ont été, dans tous les cas, facilités par la tolérance des envahisseurs, gens assez indifférents religieusement, voire sceptiques. Aussi pas de persécutions, pas de conversions forcées. La seule exigence manifestée par les vainqueurs est d'ordre fiscal: un traité de capitulation en bonne et due forme, passé avec les autorités religieuses, garantit, en échange de la levée de l'impôt par les notables des différentes communautés, la liberté du culte et la poursuite de l'activité économique.
La conquête a été si rapide qu'il n'y a pas eu hiatus, coupure, mais bien continuation de l'état préexistant, dans tous les domaines: institutions, rouages et personnel administratifs, procédures, bureaux, impôts et, enfin, monnaies.
La conquête ne s'est pas non plus traduite par des destructions. Il n'y a pas eu de villes brûlées ou mises à sac, la seule exception notable étant le pillage des palais sassanides riches d'or. Donc, pas de désorganisation: les populations soumises fournirent tout naturellement les cadres de l'administration, l'outillage mental de peuples cultivés. Les nouveaux convertis chrétiens, juifs ou perses, ces
mawali (clients) comme on les appelle alors, vont jouer un rôle décisif dans l'élaboration de cette civilisation syncrétique qu'est la civilisation "musulmane". Même dans la codification de la grammaire arabe, même dans l'établissement du texte définitif du Coran, interviendront les non-Arabes, fils des vieux peuples de l'Orient rompus aux techniques intellectuelles.
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