Pourquoi des villes partent en croisade contre les kebabs ?

Depuis une dizaine d’années, les mesures anti-kebab se multiplient en Europe, surtout en Italie et en France. Derrière le sandwich à la viande se niche l’épineuse question du rapport à l’islam.

Ce sandwich populaire est associé à l’immigration, turque puis maghrébine. Créé dans les années 1970 en Allemagne par un ouvrier turc, il s’exporte en France une décennie plus tard, sous la double impulsion de l’immigration turque et libanaise. A la fin des années 1990, des entrepreneurs d’origine maghrébine se placent sur ce créneau. Ce nouvel eldorado de la restauration rapide présente tout à la fois les avantages de ne nécessiter qu’un faible apport en capital, peu de savoir-faire et de répondre à des exigences religieuses telles que le hallal.

« Racisme gastronomique »

Les mesures « anti-kebabs » apparaissent il y a une dizaine d’année. Les premiers à s’être lancés dans de telles croisades sont les Italiens. A l’été 2008, les habitants de Bergame s’offusquent contre l’installation d’un stand de kebab dans le centre historique de la ville lombarde. Premier cas de « racisme gastronomique », comme l’ont surnommé les médias à l’époque.

En 2011, c’est au tour de Cittadella, toujours en Lombardie, de s’attaquer aux kebabs. Cette fois-ci, les mots de la municipalité d’alors sont clairs. « Ils ne font pas partie de notre tradition. » Vient ensuite Vérone, en 2016, où Flavio Tosi (Ligue du Nord) entend « préserver le patrimoine historique et architectural ». Suivi un an plus tard par l’édile de Venise qui veut mettre « un frein aux types d’activités incompatibles avec la préservation et l’héritage culturel » de la ville.

Généralement, les villes n’expulsent pas les kebabs existants, mais décident de limiter l’accès des centres aux futurs snacks. « L’objectif est simple : préservation des centres-villes en bannissant les magasins ethniques, explique Pierre Raffard. Pour autant, ce sont toujours les magasins orientaux qui sont dans le viseurs, rarement les sushis ou les chinois. »

La raison est claire. « Il y a une ‘bonne’ et une ‘mauvaise’ immigration. Dans le cas des Asiatiques, on considère qu’ils sont travailleurs, discrets etc. Le kebab lui, est très lié à l’Islam et à tous les clichés qui vont avec. » La majorité des maires italiens qui s’en prennent aux kebabs, affidés pour beaucoup à la Ligue du Nord, ont voulu aussi adopter des texte interdisant les mosquées. Et en France, c’est bien souvent l’extrême-droite qui s’empare du sujet.

« Kebabophobie » et « Kebabisation »

En France, le kebab comme argument du « grand remplacement » arrive sur la scène médiatique à la faveur Robert Ménard. Déjà présent sur certains blogs d’extrême-droite, c’est le fondateur de Reporter Sans Frontières qui lui donne un réel coup de fouet. En 2013, alors qu’il brigue la mairie de Béziers, il publie une tribune sur Boulevard Voltaire. Il y brosse le portrait d’une France en 2047, où les femmes seraient voilées et les baguettes remplacées par des kebabs.

Il réitère ses propos une fois élu, dans un reportage de Karim Baila dans Envoyé Spécial. Il explique que « quand il y a trop d’immigrés dans un pays, c’est trop d’immigrés ». Avant de faire le parallèle avec le kebab : « Dans le domaine de la restauration, trop de kebabs, c’est trop« . L’édile a donc pris un arrêté semblable instaurant un droit de préemption de la mairie sur les commerces afin d’empêcher à de nouveaux restaurants kebabs de s’y installer.

A cette occasion, le New-York times se penche même sur la question, parlant alors de « kebabophobie » en France. Parallèlement, le néologisme de « kebabisation » est forgé par l’extrême-droite.

Allemand ou grec, pas de problème

Si en France, le kebab est associé aux immigrés et à la menace du « grand-remplacement », c’est différent en Allemagne où il est bien accepté.

A l’exception du mouvement islamophobe Pegida qui a repris ce thème de « l’islamisation par le kebab » lors de certains cortège où l’on a pu voir des pancartes barrées du slogan « Döner Verdot » (Kebab interdit), le sandwich turc est plutôt vu comme un symbole d’intégration Outre-Rhin.

A tel point qu’aux Etats-Unis, on appréhende le « döner » (appellation allemande du kebab) comme un met allemand. « C’est pour cela qu’il n’y a pas de tels problème outre-Atlantique, indique Pierre Raffard. Les Américains voient le kebab soit comme allemand [le döner], soit comme grec [le gyros]. Contrairement à la France, là-bas ce sont deux aliments associés à des pays culturellement proches, il n’y a donc pas de problème, pas de menace.«
 
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