dimanche 5 octobre 2008 - 07h:29
Alain Gresh - Le Monde Diplomatique
Nous lavons entendu à plusieurs reprises, le retour des taliban en Afghanistan marquerait le triomphe de la barbarie. Le 20 août, à Kaboul, le président français déclarait aux militaires : « Je suis venu vous dire que le travail que vous faites ici, il est indispensable, parce quici se joue une partie de la liberté du monde, parce quici se mène le combat contre le terrorisme. »
En avril 2008, au sommet de lOTAN, pour justifier lenvoi de troupes françaises, Nicolas Sarkozy avait ressorti largument des femmes afghanes : « Quand on sait ce que les talibans ont fait aux Afghans, surtout aux femmes afghanes... » (Libération, 4 avril, « Otan et défense européenne : le pas de deux de Sarkozy »).
En visite à Kaboul en juillet, le ministre français de la défense Hervé Morin déclarait : « Il ny a pas dautre choix que la présence militaire internationale. Partir serait une idée folle, il ne faut pas oublier ce quétait le régime des talibans, un joug abominable. »
Dans une tribune libre, « Afghanistan : le sens de notre engagement », publiée dans le quotidien Le Monde après la mort de dix soldats français en Afghanistan, MM. Bernard Kouchner et Hervé Morin écrivaient :
« Ce qui est en jeu, ce sont dabord nos valeurs. De 1996 à 2001, une dictature barbare, le régime des talibans, coupait lAfghanistan du reste du monde. La dignité de la femme y était bafouée, les Droits de lHomme inexistants, lobscurantisme et la terreur omniprésents. Sous ce régime, les femmes nétaient ni scolarisées ni soignées, les opposants étaient pendus dans les stades, la culture et la civilisation du pays reniées. »
« Nous nous battons pour offrir au peuple afghan des conditions de vie acceptables : égalité, justice, recul de larbitraire et de la violence. Nous voulons leur apporter cette sécurité nécessaire au développement et permettre aux enfants davoir un avenir - cest-à-dire dêtre éduqués et soignés. »
La France se bat donc, comme ses partenaires, pour le triomphe des valeurs occidentales de liberté, de démocratie, dégalité hommes-femmes, sur lesquelles elle nest pas prête à transiger.
Quelle na donc pas été notre stupéfaction de lire les déclarations du ministre des affaires étrangères après que le président afghan Hamid Karzaï sest prononcé pour un dialogue avec les talibans, et pour leur participation au pouvoir à Kaboul.
Selon une dépêche de lAgence France-Presse du 1er octobre intitulée « Négociations avec les talibans : Paris favorable à la démarche de Karzaï », Bernard Kouchner a déclaré : « Ce que dit le président Karzaï, cest quil y a des talibans nationalistes, avec lesquels toutes les familles afghanes ont des contacts, qui doivent se présenter à la négociation - et localement cela a déjà été fait -, et que quelque chose sarrange entre Afghans. »
M. Kouchner a toutefois ajouté : « Ce que veut dire le président Karzaï, même sil en appelle au mollah Omar, cest que localement, dans les régions, il faut nouer des contacts. Il y a dautres talibans, partisans du jihad global, de linsurrection généralisée au nom de lextrémisme et au nom de lassassinat : regardez le dernier attentat au Pakistan devant lhôtel Marriott, cest quand même effrayant et ignoble. Ceux-là, on ne peut pas parler avec eux, on les combat. »
Si lon comprend bien, les talibans, à condition quils soient des nationalistes, et même sils ne sont pas des adeptes fervents de la démocratie et du droit des femmes, pourront être associés demain au pouvoir. Et les valeurs pour lesquelles nous nous battrions, où sont-elles ?
Si nous les abandonnons, il reste largument que nous nous battons là-bas contre le terrorisme international. Mais si cétait le contraire ? Comme lexplique un responsable britannique au numéro 2 de lambassade de France à Kaboul, « la présence, notamment militaire, de la coalition est partie du problème, non sa solution. Les forces étrangères assurent la survie dun régime qui, sans elles, seffondrerait rapidement » (cité dans Claude Angeli, « La réalité afghane que Sarko décide dignorer », Le Canard enchaîné, 1er octobre 2008). Tout le monde le reconnaît : la présence occidentale fait affluer là-bas des volontaires du monde musulman en nombre...
Et si la seule solution était le retrait des troupes françaises et de toutes les troupes étrangères, selon des modalités à étudier ?
Dautant que la guerre est sans doute déjà perdue. Selon un décompte de lAFP, 221 soldats de la coalition ont été tués en 2008 en Afghanistan (contre 219 durant toute lannée 2007). Et le Center for Strategic & International Studies de Washington publie une étude de Anthony H. Cordesman, « Follow the money : Why the US is losing the war in Afrghanistan ». Ce texte, malgré ses vues assez simplistes, offre de nombreuses données sur une guerre sans perspectives...
Alain Gresh - Le Monde Diplomatique
Nous lavons entendu à plusieurs reprises, le retour des taliban en Afghanistan marquerait le triomphe de la barbarie. Le 20 août, à Kaboul, le président français déclarait aux militaires : « Je suis venu vous dire que le travail que vous faites ici, il est indispensable, parce quici se joue une partie de la liberté du monde, parce quici se mène le combat contre le terrorisme. »
En avril 2008, au sommet de lOTAN, pour justifier lenvoi de troupes françaises, Nicolas Sarkozy avait ressorti largument des femmes afghanes : « Quand on sait ce que les talibans ont fait aux Afghans, surtout aux femmes afghanes... » (Libération, 4 avril, « Otan et défense européenne : le pas de deux de Sarkozy »).
En visite à Kaboul en juillet, le ministre français de la défense Hervé Morin déclarait : « Il ny a pas dautre choix que la présence militaire internationale. Partir serait une idée folle, il ne faut pas oublier ce quétait le régime des talibans, un joug abominable. »
Dans une tribune libre, « Afghanistan : le sens de notre engagement », publiée dans le quotidien Le Monde après la mort de dix soldats français en Afghanistan, MM. Bernard Kouchner et Hervé Morin écrivaient :
« Ce qui est en jeu, ce sont dabord nos valeurs. De 1996 à 2001, une dictature barbare, le régime des talibans, coupait lAfghanistan du reste du monde. La dignité de la femme y était bafouée, les Droits de lHomme inexistants, lobscurantisme et la terreur omniprésents. Sous ce régime, les femmes nétaient ni scolarisées ni soignées, les opposants étaient pendus dans les stades, la culture et la civilisation du pays reniées. »
« Nous nous battons pour offrir au peuple afghan des conditions de vie acceptables : égalité, justice, recul de larbitraire et de la violence. Nous voulons leur apporter cette sécurité nécessaire au développement et permettre aux enfants davoir un avenir - cest-à-dire dêtre éduqués et soignés. »
La France se bat donc, comme ses partenaires, pour le triomphe des valeurs occidentales de liberté, de démocratie, dégalité hommes-femmes, sur lesquelles elle nest pas prête à transiger.
Quelle na donc pas été notre stupéfaction de lire les déclarations du ministre des affaires étrangères après que le président afghan Hamid Karzaï sest prononcé pour un dialogue avec les talibans, et pour leur participation au pouvoir à Kaboul.
Selon une dépêche de lAgence France-Presse du 1er octobre intitulée « Négociations avec les talibans : Paris favorable à la démarche de Karzaï », Bernard Kouchner a déclaré : « Ce que dit le président Karzaï, cest quil y a des talibans nationalistes, avec lesquels toutes les familles afghanes ont des contacts, qui doivent se présenter à la négociation - et localement cela a déjà été fait -, et que quelque chose sarrange entre Afghans. »
M. Kouchner a toutefois ajouté : « Ce que veut dire le président Karzaï, même sil en appelle au mollah Omar, cest que localement, dans les régions, il faut nouer des contacts. Il y a dautres talibans, partisans du jihad global, de linsurrection généralisée au nom de lextrémisme et au nom de lassassinat : regardez le dernier attentat au Pakistan devant lhôtel Marriott, cest quand même effrayant et ignoble. Ceux-là, on ne peut pas parler avec eux, on les combat. »
Si lon comprend bien, les talibans, à condition quils soient des nationalistes, et même sils ne sont pas des adeptes fervents de la démocratie et du droit des femmes, pourront être associés demain au pouvoir. Et les valeurs pour lesquelles nous nous battrions, où sont-elles ?
Si nous les abandonnons, il reste largument que nous nous battons là-bas contre le terrorisme international. Mais si cétait le contraire ? Comme lexplique un responsable britannique au numéro 2 de lambassade de France à Kaboul, « la présence, notamment militaire, de la coalition est partie du problème, non sa solution. Les forces étrangères assurent la survie dun régime qui, sans elles, seffondrerait rapidement » (cité dans Claude Angeli, « La réalité afghane que Sarko décide dignorer », Le Canard enchaîné, 1er octobre 2008). Tout le monde le reconnaît : la présence occidentale fait affluer là-bas des volontaires du monde musulman en nombre...
Et si la seule solution était le retrait des troupes françaises et de toutes les troupes étrangères, selon des modalités à étudier ?
Dautant que la guerre est sans doute déjà perdue. Selon un décompte de lAFP, 221 soldats de la coalition ont été tués en 2008 en Afghanistan (contre 219 durant toute lannée 2007). Et le Center for Strategic & International Studies de Washington publie une étude de Anthony H. Cordesman, « Follow the money : Why the US is losing the war in Afrghanistan ». Ce texte, malgré ses vues assez simplistes, offre de nombreuses données sur une guerre sans perspectives...