Juin 1967, une guerre de six jours qui n’en finit pas · Au lendemain de la guerre de juin 1967, les principaux organes de presse marocains s’engageaient tambour battant dans une campagne appelant au boycott contre les juifs. Cette même presse, qui avait longtemps prêché la symbiose judéo-musulmane, se laissa entraîner dans une dérive passionnée qui prit pour cible autant les juifs marocains que l’État d’Israël.
Dans sa livraison du 5 août 1967, Le Monde traite de la situation au Maroc après la défaite des armées arabes face à Israël. Plusieurs indices permettent de penser que Louis Gravier, correspondant permanent à Rabat, tenait ses informations de sources sûres, lesquelles voulaient utiliser la notoriété du journal parisien pour faire passer le message. Gravier relatait les dispositions sécuritaires prises par les autorités, l’état d’esprit de la population, les positions des partis politiques, etc. Un titre secondaire, en gras, attire l’attention : « Psychose de départ chez les israélites ». Il y est question de panique réelle, de départ temporaire pour les uns « en attendant que la tension s’apaise », définitif — autrement dit un exode — pour bien d’autres.
Comme sur le plan communautaire on cherchait à ne pas faire de vagues, les problèmes étaient résolus dans la discrétion et le compromis. « C’était une communauté exsangue, qui n’aspirait qu’à se faire oublier par les vents trop contraires de l’Histoire »<a href="https://orientxxi-info.translate.go...tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc#nb1" rel="appendix" title="Robert Assaraf, Une certaine histoire des Juifs du Maroc, Paris, Jean-Claude (…)">1</a> Victor Malka, longtemps responsable de La voix des communautés, l’unique organe de presse juive dans le Maroc indépendant, donne une idée de la situation où étaient acculés les juifs du Maroc :
Dans sa livraison du 5 août 1967, Le Monde traite de la situation au Maroc après la défaite des armées arabes face à Israël. Plusieurs indices permettent de penser que Louis Gravier, correspondant permanent à Rabat, tenait ses informations de sources sûres, lesquelles voulaient utiliser la notoriété du journal parisien pour faire passer le message. Gravier relatait les dispositions sécuritaires prises par les autorités, l’état d’esprit de la population, les positions des partis politiques, etc. Un titre secondaire, en gras, attire l’attention : « Psychose de départ chez les israélites ». Il y est question de panique réelle, de départ temporaire pour les uns « en attendant que la tension s’apaise », définitif — autrement dit un exode — pour bien d’autres.
« Au Maroc, il n’y a que des Marocains »
En 1967, 60 000 juifs continuaient de vivre au Maroc, « le plus grand nombre de juifs dans un pays arabe » aimait-on se vanter (des gens qui croyaient encore en la possibilité d’une harmonie qu’ils pensaient de leur devoir de faire perdurer). Leurs institutions fonctionnaient tant bien que mal. La communauté continuait de jouir des attentions des autorités politiques. À l’occasion de la fête religieuse de Yom Kippour (le jour du Grand Pardon), il était de coutume de recevoir les vœux du gouvernement. Le ministre de l’intérieur faisait le déplacement à la grande synagogue de Casablanca et prenait part aux prières puis aux festivités. Plusieurs cabinets de ministres comptaient des cadres juifs à qui étaient confiés des dossiers de grande importance. Avoir un bras droit juif passait pour un signe d’efficacité et d’ouverture. En outre, les capitaux juifs n’avaient nullement souffert de la succession de bouleversements, monétaires et autres, qui avaient affecté de façon sensible la plupart des secteurs économiques marocains stratégiques. Le commerce tenait bon. Les anciens circuits avaient laissé place à de nouveaux, tout aussi lucratifs. Dans le domaine des arts aussi, les artistes juifs occupaient le devant de la scène.Comme sur le plan communautaire on cherchait à ne pas faire de vagues, les problèmes étaient résolus dans la discrétion et le compromis. « C’était une communauté exsangue, qui n’aspirait qu’à se faire oublier par les vents trop contraires de l’Histoire »<a href="https://orientxxi-info.translate.go...tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc#nb1" rel="appendix" title="Robert Assaraf, Une certaine histoire des Juifs du Maroc, Paris, Jean-Claude (…)">1</a> Victor Malka, longtemps responsable de La voix des communautés, l’unique organe de presse juive dans le Maroc indépendant, donne une idée de la situation où étaient acculés les juifs du Maroc :
Se faire oublier revenait dans les faits à se faire oublier par la presse. Pendant les premières années de l’indépendance (acquise en 1956), les médias, pour l’essentiel partisans, avaient adopté une approche responsable s’agissant de la « question juive » marocaine. À l’instar des diverses nouvelles forces d’encadrement destinées à éduquer les masses et à promouvoir les valeurs de la citoyenneté, ils prêchaient la bonne parole en vue de donner de la consistance à un vœu communautaire partagé : l’intégration des juifs dans la société. « Au Maroc, il n’y a pas des juifs et des musulmans, il y a seulement des Marocains », aimait-on répéter. Soucieux de s’en tenir à la règle qui admet une différence entre être juif et être sioniste, les journaux de l’Istiqlal, Al Alam et L’Opinion, à l’époque largement lus, s’appliquaient, sauf rares exceptions, à faire la part des choses.Entre l’année 1961 et le mois de juin 1967, où éclate la guerre de six jours, la communauté israélite mène une vie sans gloire. Repliée sur elle-même par la force des choses, elle observe l’avenir, les yeux constamment tournés vers le palais royal, attendant sollicitude, compréhension et, si besoin est, protection.
Victor Malka, La mémoire brisée des Juifs du Maroc, Paris, éditions Entente, 1978, p. 59-60.