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À Londres, dans le quartier de Wembley, Patrick et Cleveland, deux anciens hooligans, se sont reconvertis : comme des milliers d’autres citoyens britanniques, ils se sont auto-proclamés chasseurs de pédophiles. Ils surfent sur des messageries internet pour des jeunes de 10 à 19 ans.
"Il y a huit jours, nous avons créé un appât et nous avons commencé à naviguer sur les réseaux sociaux avec ce profil fictif : nous nous faisons passer pour une jeune fille de 12 ans," explique Patrick Fripps de l'association Keeping Kids Safe. "Nous avons attendu que l’on nous contacte et très vite, la discussion entre le suspect et moi-même a pris une tournure sexuelle," dit-il.
"Très vite, il en est venu à nous parler de sexe"
"Nous lui avons tout de suite indiqué notre âge, il a répondu qu’il n’en avait rien à faire," poursuit Patrick Fripps. "Très vite, il nous a donné son numéro de téléphone pour le contacter sur WhatsApp et très vite, il en est venu à nous parler de sexe, il nous a demandé d’avoir des relations sexuelles, il nous a envoyé des photos très choquantes de lui totalement nu, il a envoyé plusieurs photos de son pénis," raconte-t-il. Cette prise de contact virtuelle donnera lieu ensuite, à une véritable traque dans la vie réelle.
Ces groupes de vigilance dont ces chasseurs sont un exemple se sont développés ces dernières années, en particulier en Scandinavie, en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, sur le modèle d'une pratique existante aux États-Unis. Ils rassemblent plus de trois millions de citoyens à l'échelle de l'Europe.
Quelles sont les dérives possibles ? Ces citoyens justiciers peuvent-ils mettre en péril la présomption d'innocence ?
La chasse aux infractions aux Pays-Bas
À La Haye, aux Pays-Bas, des hommes et femmes en gilet vert, des citoyens ordinaires bénévoles, patrouillent deux fois par semaine sur leur temps libre. Une initiative totalement privée, mais soutenue par la municipalité. Jan Overduin, l'un de ces citoyens vigilants, explique ce qu'ils traquent : "Les poubelles, les graffitis, le soir quand il fait nuit, nous vérifions que les éclairages publics fonctionnent bien, ce genre de choses..."
Avec une application mobile spécialement créée pour ces groupes de vigilance, ils peuvent alerter en temps réel la municipalité de toutes sortes de dégradation et d'incivilité. Au niveau d'un abribus, Jan Overduin indique : "Dans cette zone, il y avait beaucoup de jeunes qui traînaient et cela créait des problèmes avec la population. Alors, on a fait des rondes de plus en plus fréquentes et maintenant, cet endroit est sûr," souligne-t-il.
En patrouillant dans les rues à la chasse aux infractions, ces citoyens interviennent parfois même avant les forces de l’ordre.
Jan Overduin nous montre un autre lieu : "Il y a des fois où des gens restent ici pour fumer ou consommer de la drogue alors que c'est un parc pour enfants, on ne veut pas d'eux ici. On leur demande gentiment de quitter les lieux et s'ils ne veulent pas, on appelle la police," explique-t-il.
Pas d'influence sur le taux de criminalité"
Aux Pays-Bas, les chiffres de la délinquance sont en baisse constante depuis 2012. Pourtant, les groupes de prévention et d'autodéfense sont toujours plus nombreux dans le pays.
Sociologue, Shanna Mehlbaum a étudié ce phénomène. "Il serait beaucoup plus logique de trouver ces groupes de vigilance dans des quartiers moins sûrs, mais souvent, ce n'est pas le cas," affirme-t-elle. "Les gens ressentent le besoin de se sentir plus en sécurité alors qu'ils sont pourtant dans des quartiers très sécurisés," ajoute-t-elle. "La conclusion de nos recherches, c'est que ces groupes n'ont pas vraiment d'influence sur le taux de criminalité dans leur quartier," fait remarquer la sociologue.
Les Pays-Bas comme d'autres nations européennes ont encouragé l'émergence de ces mouvements citoyens sans pour autant les encadrer. Un laxisme dénoncé par les syndicats de policiers.
"Parfois, il y a des accès de violence et bien sûr, c'est illégal, alors c'est un problème sur lequel on essaye d'alerter, ces groupes ont des limites," insiste Gerrit Van De Kamp, président du syndicat de police ACP. "Et il faut bien insister et définir un cadre légal," renchérit-il, "sur ce que ces groupes peuvent faire ou non ; sinon, ils pourront eux-mêmes être poursuivis."