14% des Marocains ne font pas la prière, mais il ny a aucune enquête sur le nombre de ceux qui ne pratiquent pas le Ramadan. Dans la conscience collective, jeûner est un acte social plus que religieux, et ne pas jeûner est plus répréhensible que ne pas prier. Manger en public est passible dune peine de un à six mois de prison, pour «atteinte à lordre public».
Comment font-ils ? A chacun sa recette. Ce fonctionnaire, âgé de 50 ans, marié et père de trois enfants, ne jeûne plus depuis quil avait dix-huit ans. Chez lui, il assume parfaitement sa non-pratique du Ramadan. Il raconte : «Je prends mon petit-déjeuner comme en temps normal, mais plus copieusement que dhabitude. Horaire continu oblige, je ne mange plus rien jusquà la rupture officielle du jeûne. Quand vient la rupture du jeûne, elle nous trouve tous autour dune table bien garnie de mets spécial Ramadan, à linstar des autres Marocains. Même si je ne jeûne pas, jaime lambiance du Ramadan, surtout le soir». Sa femme et ses enfants ? «Nous nous sommes rencontrés à luniversité, ma femme et moi, et sur ce point, nous avons toujours été daccord. Quant aux enfants (entre quatorze et vingt ans), nous nintervenons jamais dans leurs convictions religieuses. Deux de nos enfants jeûnent, ils se réveillent même la nuit pour prendre leur shour ».
Ce genre dattitude na rien dexceptionnel. On la trouve dans certains milieux dintellectuels, des familles occidentalisées, chez des personnes ayant une sensibilité de gauche. Ce professeur na pas non plus changé, mais au moins, comme dans le précédent témoignage, lambiance de Ramadan est prégnante chez lui. Tel nest pas le cas de certaines personnes, peu nombreuses certes, qui ne modifient en rien leurs habitudes alimentaires pendant ce mois, sauf quelles ne mangent pas à lextérieur. Ainsi fonctionne cette famille casablancaise qui sattable pour ses trois repas quotidiens : chez elle, Ramadan nexiste pas. Cest un choix, explique le couple. «Ça a été ainsi depuis toujours, nos enfants ne se sont jamais posé de questions, tant il leur semble évident de ne pas jeûner à la maison. Mon mari et moi avons surtout refusé dêtre hypocrites dans notre relation avec eux, mais aussi avec tous les autres membres de nos deux familles : tout le monde est au courant et tout le monde a fini par respecter notre choix».
Ils jeûnent devant les enfants mais se ruent sur la cafetière dès que ceux-ci ont le dos tourné. Dautres en revanche, plus «hypocrites» jouent double jeu et veulent sauver les apparences : ils font semblant de jeûner devant leurs enfants (et la bonne, bien sûr) mais dès que ces derniers sont absents, ils se précipitent pour se faire un café à la hâte, ou fumer une cigarette. Pour nombre de Marocains qui ne font pas Ramadan, manger nest pas le plus important. Par commodité, ils sen abstiennent, mais refusent de faire la moindre concession sur le café et le tabac : «Sans cela, je suis incapable de travailler», avouent sans détour certains dentre eux. Certains cadres de sociétés, pourvus dune cafetière dans leur bureau, sen servent sans scrupule et en toute quiétude, mais ils ferment la porte et ouvrent les fenêtres dès quil sagit dallumer une cigarette, à cause de lodeur. «Plutôt par respect pour les autres employés de la société qui jeûnent, que par méfiance ou par peur de leurs réactions. Cest un secret de polichinelle : tout le monde sait que nous ne faisons pas Ramadan.» Les petits employés, eux, nont dautre choix que de senfermer discrètement dans les toilettes pour aspirer rapidement et goulûment quelques bouffées.
72% de Marocains prient de façon régulière, 14 % ne prient pas
Combien sont-ils à ne pas jeûner au Maroc ? Impossible de répondre à cette question, faute denquête sur le sujet. Selon Hassan Rachik, chercheur et rapporteur de la synthèse précitée, par le fait que «léchantillonnage était national et il [quil]est extrêmement délicat de poser à des Marocains musulmans ce genre de question. Déjà, quand on leur demande sils font la prière, ils tiquent». «Au-delà du fait religieux, poursuit-il, en raison de cette dimension sociale, un sentiment de culpabilité sinstalle chez celui qui ne jeûne pas. Dans notre société, il est très difficile déchapper à cette contrainte sociale». Larticle 221 du Code pénal marocain est clair : «Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps de Ramadan, sans motif admis pour cette religion, est puni dun à six mois demprisonnement et dune amende de 12 à 120 DH». Lourde sanction, mais aussi «atteinte à la liberté individuelle», sinsurgent les plus téméraires parmi les non-pratiquants. La loi pénalisant la non-observance du jeûne nest pas là pour défendre la religion, rétorque un juriste, «mais pour défendre lordre public». Sera-t-elle un jour abolie ? Cest une autre histoire.
Jaouad mdidech
Source : La Vie Economique
Comment font-ils ? A chacun sa recette. Ce fonctionnaire, âgé de 50 ans, marié et père de trois enfants, ne jeûne plus depuis quil avait dix-huit ans. Chez lui, il assume parfaitement sa non-pratique du Ramadan. Il raconte : «Je prends mon petit-déjeuner comme en temps normal, mais plus copieusement que dhabitude. Horaire continu oblige, je ne mange plus rien jusquà la rupture officielle du jeûne. Quand vient la rupture du jeûne, elle nous trouve tous autour dune table bien garnie de mets spécial Ramadan, à linstar des autres Marocains. Même si je ne jeûne pas, jaime lambiance du Ramadan, surtout le soir». Sa femme et ses enfants ? «Nous nous sommes rencontrés à luniversité, ma femme et moi, et sur ce point, nous avons toujours été daccord. Quant aux enfants (entre quatorze et vingt ans), nous nintervenons jamais dans leurs convictions religieuses. Deux de nos enfants jeûnent, ils se réveillent même la nuit pour prendre leur shour ».
Ce genre dattitude na rien dexceptionnel. On la trouve dans certains milieux dintellectuels, des familles occidentalisées, chez des personnes ayant une sensibilité de gauche. Ce professeur na pas non plus changé, mais au moins, comme dans le précédent témoignage, lambiance de Ramadan est prégnante chez lui. Tel nest pas le cas de certaines personnes, peu nombreuses certes, qui ne modifient en rien leurs habitudes alimentaires pendant ce mois, sauf quelles ne mangent pas à lextérieur. Ainsi fonctionne cette famille casablancaise qui sattable pour ses trois repas quotidiens : chez elle, Ramadan nexiste pas. Cest un choix, explique le couple. «Ça a été ainsi depuis toujours, nos enfants ne se sont jamais posé de questions, tant il leur semble évident de ne pas jeûner à la maison. Mon mari et moi avons surtout refusé dêtre hypocrites dans notre relation avec eux, mais aussi avec tous les autres membres de nos deux familles : tout le monde est au courant et tout le monde a fini par respecter notre choix».
Ils jeûnent devant les enfants mais se ruent sur la cafetière dès que ceux-ci ont le dos tourné. Dautres en revanche, plus «hypocrites» jouent double jeu et veulent sauver les apparences : ils font semblant de jeûner devant leurs enfants (et la bonne, bien sûr) mais dès que ces derniers sont absents, ils se précipitent pour se faire un café à la hâte, ou fumer une cigarette. Pour nombre de Marocains qui ne font pas Ramadan, manger nest pas le plus important. Par commodité, ils sen abstiennent, mais refusent de faire la moindre concession sur le café et le tabac : «Sans cela, je suis incapable de travailler», avouent sans détour certains dentre eux. Certains cadres de sociétés, pourvus dune cafetière dans leur bureau, sen servent sans scrupule et en toute quiétude, mais ils ferment la porte et ouvrent les fenêtres dès quil sagit dallumer une cigarette, à cause de lodeur. «Plutôt par respect pour les autres employés de la société qui jeûnent, que par méfiance ou par peur de leurs réactions. Cest un secret de polichinelle : tout le monde sait que nous ne faisons pas Ramadan.» Les petits employés, eux, nont dautre choix que de senfermer discrètement dans les toilettes pour aspirer rapidement et goulûment quelques bouffées.
72% de Marocains prient de façon régulière, 14 % ne prient pas
Combien sont-ils à ne pas jeûner au Maroc ? Impossible de répondre à cette question, faute denquête sur le sujet. Selon Hassan Rachik, chercheur et rapporteur de la synthèse précitée, par le fait que «léchantillonnage était national et il [quil]est extrêmement délicat de poser à des Marocains musulmans ce genre de question. Déjà, quand on leur demande sils font la prière, ils tiquent». «Au-delà du fait religieux, poursuit-il, en raison de cette dimension sociale, un sentiment de culpabilité sinstalle chez celui qui ne jeûne pas. Dans notre société, il est très difficile déchapper à cette contrainte sociale». Larticle 221 du Code pénal marocain est clair : «Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps de Ramadan, sans motif admis pour cette religion, est puni dun à six mois demprisonnement et dune amende de 12 à 120 DH». Lourde sanction, mais aussi «atteinte à la liberté individuelle», sinsurgent les plus téméraires parmi les non-pratiquants. La loi pénalisant la non-observance du jeûne nest pas là pour défendre la religion, rétorque un juriste, «mais pour défendre lordre public». Sera-t-elle un jour abolie ? Cest une autre histoire.
Jaouad mdidech
Source : La Vie Economique