Après un crime islamophobe, le débat sémantique est dangereux et ridicule.
Il est synonyme de minimisation de la violence vécue.
Les personnes opprimées, discriminées ont toujours choisi les termes pour décrire leurs oppressions, parfois en changeant le sens des mots, en s'appropriant le langage des oppresseurs.
L'islamophobie est une forme de racisme. Historiquement, la mécanique raciste comprend l'essentialisation, la déshumanisation, la dimension systémique et la hiérarchisation des personnes.
Certains s'en prennent aux militants contre l'islamophobie, en prétextant que ce mot aurait une origine, un sens problématique. L'origine de l'islamophobie est comme souvent de plus en plus complexe et lointaine, et cela plus la recherche avance sur le sujet.
L'extrême droite et la droite, jusqu'à certains prétendus de gauche, avancent une unique origine au mot islamophobie. Ce serait une invention pour taire les critiques sur la religion, c'est évidemment faux.
Lors de la colonisation en 1910, Alain Quellien a publié l'ouvrage Politique musulmane de l’Afrique occidentale française. Il a défini l’islamophobie comme un "préjugé contre l’islam répandu chez les peuples occidentaux et chrétiens". Cela peut remonter encore plus loin.
En outre, il fut un temps où il était répandu que le terme antisémitisme avait été inventé par l'antisémite Wilhelm Marr en 1879. Et cela demeure toujours la croyance la plus répandue.
Or, dès 1860, le bibliographe autrichien et juif Moritz Steinschneider a dénoncé les "préjugés antisémites" de Renan. En effet, Renan a racialisé les peuples parlant des langues sémitiques, afin de mettre en avant la supériorité des peuples "aryens".
Peu importe l'origine du terme "antisémitisme". Ce qui compte, c'est le choix, la réappropriation de ce mot par les personnes juives en France, qui l'ont conservé, réinventé pour décrire l'oppression historique vécue.
Au XVIe siècle, le terme "queer" renvoyait à une chose étrange ou illégitime. En 1894, John Sholto Douglas, marquis de Queensberry, a utilisé le terme queer comme une insulte homophobe, notamment face à Oscar Wilde. Cela a amplifié le recours à ce terme en ce sens.
Toutefois, les personnes LGBTQ+ se sont appropriées le langage des dominants, ont sublimé ce mot "queer". Queer est devenu synonyme de fierté, de toute une communauté opprimée, d'un monde libéré des normes sociales sous la plume de Judith Butler et tant d'autres.
Dans toute cette sphère politique et médiatique qui blâme l'utilisation du terme "islamophobie", qui oserait dire que l'origine, le sens, l'Histoire des mots antisémitisme et queer interdisent aux concernés d'en user à leurs convenances ?
Ceux qui sont au cœur des discours les plus islamophobes, racistes, voudraient expliquer à des opprimés le bon vocabulaire. Quelle légitimité avez-vous ?
Cette obsession d'imposer aux opprimés les mots à utiliser est une chose historique en France. Ainsi, la droite du XIX/XXe s. a signifié aux personnes juives qu'elles devaient s'appeler les israélites, afin d'être considérées assimilées et respectables. C'était aussi toute l'œuvre de Napoléon.
La droite et l'extrême droite résistent toujours à la volonté de ces cibles de décrire les oppressions subies. La langue est une arène où les dominants imposent leurs vérités. Agir de même quand on se prétend de gauche, ce n'est pas juste une faute, c'est réitérer les pires erreurs de l'Histoire.
Antoine Trupiano Remille