Face aux intempéries, paysans et citadins égaux!
· Des habitations construites en zones inondables
· De Driouch à Nador, les sinistrés réclament des comptes
· Des agglomérations sectionnées par plusieurs oueds
Deux mondes mais un seul calvaire. Dans la région de Nador, ni les habitants du douar Ouled Ali Ben Hammou ni ceux de la cité Sonasid -qui compte aussi une zone villa- n’y ont en effet échappé. Les habitants de la province de Nador, dans l’Oriental au nord-est du pays, n’oublieront jamais la date du 26 octobre. Une journée terrible durant laquelle des pluies diluviennes se sont abattues sur la ville, les agglomérations et villages avoisinants.
Quelques jours plus tard, dans la commune rurale de Driouch, à une soixantaine de km de Nador, des femmes s’agglutinent autour d’une flaque d’eau jaunie… Elles lavent du linge ou des ustensiles. On profite des rayons chauds du soleil, après plusieurs jours de nuages sombres. Matelas, couvertures, télé, livres scolaires… jonchent le sol pour une séance de bronzage forcée!
Une sorte de consolation climatique pour les habitants du douar Ouled Ali Ben Hammou!
Il y a moins d’une semaine, la commune rurale de Driouch a été submergée par les flots de l’oued K’ret. Avec ses 28.600 habitants et ses 424 km2, «elle est la plus grande commune de la province de Nador», commente son président, Mohammed Boukili. Elle sera promue, avec le nouveau découpage administratif, au statut de municipalité. Boukili, qui vient à peine de finir son déjeuner à la caïdat, est un peu surpris de voir débarquer des journalistes. Grâces aux crues, Driouch sort de l’anonymat.
Zones inondables
Dans cette agglomération, même la géographie a ses chouchous. Car, à Driouch, ce sont principalement les riverains de l’oued K’ret qui ont «trinqué». Au lieu de 90m3/seconde, un débit de 240 m3 par seconde a déferlé sur la zone.
Les douars de Ouled Ali Ben Hammou et de M’haned sont en bas de la colline, à la périphérie. Le centre de l’agglomération, où se trouve le Paradise, un quartier réputé «sélect», n’a pas été touché par les inondations.
Les douars de Ouled Ali Ben Hammou, de M’hamed et le côté ouest du quartier El Amal sont sur le qui-vive. Leurs populations ont dû quitter, en pleine nuit, leurs maisons pour se réfugier dans les hauteurs avoisinantes, mitoyennes à la route d’Aïn Zoura. Entre-temps, la nature a repris ses droits car un oued n’oublie jamais son lit. Aux abords du pont, les poutres -de véritables allumettes en béton- d’un immeuble R+1 ont été carrément décimées. «Le garage lui servait de manufacture de textile. 250.000 DH de matériels et de marchandises ont été engloutis par les flots», racontent des témoins, qui relatent aussi des scènes insolites: l’imam, dont la mosquée a été détruite, a dû s’agripper à une poutre pour sauver sa peau.
Amers, quelques habitants nous invitent à prendre des photos. Pour comprendre l’ampleur de leur drame. Leurs sollicitations s’accentueront au fur et à mesure que nous arpentons les ruelles boueuses du douar Ouled Ali ben Hammou. Le photographe de L’Economiste, Abdelmjid Bziouat, s’agenouille, se lève, tourne à gauche puis à droite… Comme si les flashs étaient une forme de compassion.
A l’intérieur des maisons l’on constate que la hauteur des eaux a atteint près de 2 mètres. Abdellah Matâich est l’un des sinistrés. «Pourquoi avez-vous construit au bord de l’oued», lui demande-t-on? «J’ai eu une autorisation de construire. J’habite à douar Ouled Ali ben Hammou depuis 1992», répond-il. Ce père de deux enfants nous raconte, d’une voix enrouée, ce qu’il appelle la «nuit du déluge»: «J’ai été réveillé par les cris d’une femme. Quand j’ai ouvert ma porte, il y avait des montagnes d’eau», explique-t-il.
Son récit est ponctué, de temps à autre, de sourdes protestations: «c’est quoi la différence entre une maison détruite ou celle dont les murs sont fissurés?» Une commission composée de l’ingénieur de la commune, du cheikh et du mokkadem vient recenser les logements démolis par les inondations. Et ceci en vue d’une éventuelle indemnisation. En attendant, les plus «chanceux» des sinistrés cohabitent avec un nouveau colocataire: la boue.
Car près d’une centaine de personnes ont tout perdu. Ils ont été logés au lycée Abdelaziz Amine. Hommes et femmes, à chacun sa classe. Le docteur Sidi Tarik Hamdani est l’un des deux médecins mobilisé pour les soigner. Un vrai baptême: il a été affecté à Driouch, il y a à peine un mois et demi. Il n’est pas le seul. Délégué médical, chef de cercle et caïd sont dans le même cas de figure.
Il ouvre un registre pour nous faire un bilan sanitaire de la situation: «ni épidémies, ni intoxications. L’on a surtout constaté plusieurs cas de stress post-traumatique». Juste en face de son bureau un grand placard blanc: antibiotiques, seringues, antalgiques, sérums… Au fur et à mesure que le médecin nous fait un état des lieux sous l’œil vigilant du khalifa. A quelques pas du lycée Amine Abdelaziz, la Maison des jeunes s’est muée en entrepôt d’aide aux sinistrés. Un comité de soutien s’est également constitué pour la distribution. L’un de ses membres, Rachid Hamdaoui, nous précise que c’est «une initiative spontanée». L’école Chorouk, à douar Ouled Ali ben Hammou, est devenue par la même occasion un «centre humanitaire». Les sinistrés y reçoivent un panier d’aides alimentaires de 120 DH: huile (5 litres), farine (10 kg), sucre (5l), thé…
A l’autre bout de la province, le quartier résidentiel de Selouane -cité Sonasid- qui compte 101 villas et 302 logements économiques a été endommagé par les flots torrentiels de oued Selouane. «Les quatre canalisations qui devaient en principe endiguer l’eau ont été bouchées, soit 2 m de profondeur sur 2 m de largeur», selon les résidents.
Du coup, le flux de l’oued a emporté dans son sillage des murs, des clôtures, des portes en fer forgé, des voitures... Une situation qui n’a pas manqué de déclencher l’ire des habitants de la cité Sonasid. «Si l’on faisait preuve de 10% de sérieux, notre PIB pourrait gagner 2 points de plus», commente l’un d’eux.
Faiçal FAQUIHI