Bonjour
Sujet passionnant!
Je suis en profond désaccord avec la théorie B du temps.
Je comprends qu'elle puisse avoir l'air « savante » et sophistiquée et qu'elle essaie de revendiquer l'autorité (le pouvoir d'intimidation) de la physique relativiste.
Mais il y a deux ordres de faits qui me paraissent plus certains que cette théorie.
On nous dit que notre conscience spontanée du passé, du présent et de l'avenir est une illusion. Je doute que l'on puisse vraiment soutenir cela.
Si un psychotique voit un diablotin dans sa chambre, alors oui on peut dire que ce diablotin est une illusion, qu'il est créé par son imagination.
Mais si ce même psychotique ressent de la douleur, ou de l'angoisse, ou de la peur, ces sentiments ne sont absolument pas des illusions. Je veux dire, je pose comme hypothèse qu'il ne ment pas. Mais les sentiments comme la douleur, l'angoisse, la joie, le plaisir, ou simplement la conscience brute d'exister, cela ne peut pas être une illusion, puisqu'il n'y a alors pas de dédoublement possible entre la conscience de cette chose et la chose dont elle est l'objet.
En d'autres termes, si je ressens de la douleur, la douleur existe réellement par le seul fait que la ressens. Et donc la douleur est dans une autre catégorie que des choses comme la perception d'objets extérieurs (comme mon ordinateur, mon bureau, ou les hallucinations du psychotique qu'il prend pour la réalité).
Ce que je soutiens, c'est que notre expérience du temps est comme cela. On peut pas avoir d'illusion à propos du temps « A » comme on peut en avoir au sujet d'objets qui n'existent pas ou qui sont déformés par notre perception. Notre perception du temps est identique au temps perçu ou du moins inséparable de lui. Il est vain de décréter que c'est une illusion, alors qu'au contraire, c'est cela même qu'il faut expliquer ou du moins décrire pour comprendre le temps.
Et si l'on persiste à dire que le temps A est une illusion, du moins il faut expliquer cette prétendue illusion, car une illusion a en tout cas assez de réalité et de pouvoir pour nous tromper, mais en l'expliquant, on retombera inévitablement dans le cadre du temps A qu'on voulait surmonter.
Deuxièmement, la théorie B du temps est incompatible avec la vision normale de la causalité. Causalité qui suppose normalement l'antériorité nécessaire d'un état par rapport à un autre, de sorte qu'il est impossible de vraiment parler de causes et d'effets si tout coexiste dans un éternel instant.
Par exemple je suis couché dans mon lit. Je me lève. Je me cogne le pied sur la base du lit. Je ressens une douleur. Ces différents événements s'enchaînent logiquement dans une séquence causale, et je peux pas réellement les « comprimer » dans un seul « instant » figé de toute éternité. Il faut absolument que je me cogne le pied AVANT de ressentir une douleur, sinon il n'y aurait aucun sens au monde, et on pourrait même dire qu'il y aurait une contradiction (j'aurais en même temps une douleur et pas de douleur par rapport au même événement - me cogner).
C'est donc qu'il y a un état du monde où je ne ressens pas de douleur, et un autre état, consécutif, où je me cogne, et à la suite de quoi je ressens une douleur. J'ai dit le mot « avant », ce qui suppose qu'on est dans le cadre de la théorie A du temps.
Je comprends qu'on puisse avoir des représentations spatiales du temps (même un plan cartésien en est une : pas besoin de nous accabler avec les grosses théories de la physique de pointe), et donc qu'il y ait un rapport (à clarifier) entre le temps et l'espace, mais cela veut pas dire que le temps est réductible à l'espace. De façon analogue, sur un écran en deux dimensions, je peux voir des images en trois dimensions : cela veut pas dire que la troisième dimension est en fait une illusion et qu'en réalité, l'univers n'a que deux dimensions d'espace!! Au contraire, si tout était vraiment en deux dimensions, j'aurais même pas l'illusion d'une troisième dimension. La troisième dimension serait alors impossible à imaginer.