Le Livre noir du communisme aurait dû être préfacé par François Furet, disparu en juillet dernier. Il considérait cette somme comme le complément de son best-seller
Le Passé d'une illusion, dans lequel il s'interrogeait sur cette passion politique qui a poussé tant d'hommes à commettre tant de massacres avant, bien souvent, d'être broyés par le système qu'ils avaient servi. Peut-être la présence du grand historien aurait-elle évité à cette entreprise inédite de se terminer dans la confusion: au terme de trois ans de travail, l'éditeur a réussi à faire paraître le livre pour ce 80e anniversaire d'octobre 1917, mais ses auteurs, divisés, ne s'adressent plus la parole, anticipant les polémiques qui ne vont pas manquer de surgir. Car c'est à une autre mémoire, celle-ci encore taboue, que s'attaque
Le Livre noir, en proposant le premier bilan, à l'échelle mondiale, des crimes commis par les régimes communistes. Comptabilité terrifiante: les diverses tentatives de construction de «l'homme nouveau» ont provoqué, de par le monde, la mort de 65 à 85 millions de personnes.
Sous la direction de Stéphane Courtois, une dizaine d'historiens se sont réparti la tâche selon leurs compétences régionales. La contribution de Nicolas Werth sur l'URSS, qui occupe près du tiers de l'ouvrage, constitue un apport décisif à l'histoire de la répression soviétique. Russophone, bon connaisseur des archives locales et des travaux de la nouvelle génération d'historiens russes, Nicolas Werth a réalisé une synthèse accablante sur des méthodes qui servirent de modèle dans le monde entier. A partir des archives de la période 1917-1921, il montre que l'exercice de la «terreur comme mode de gouvernement» fut conçu bien avant le déclenchement de la guerre civile et n'en fut donc pas une conséquence: l'impulsion criminelle, très précoce, revient à Lénine. Staline ne fit que reprendre l'héritage d'une dictature livrant une guerre à toute la société.
Le bilan soviétique (environ 15 millions de morts) fut largement dépassé par la Chine de Mao. Jean-Louis Margolin estime que la fourchette des victimes oscille entre 45 et 72 millions de morts. Le maoïsme ajoute cette particularité d'avoir voulu «rééduquer une société tout entière». Mais la palme de la folie meurtrière revient aux Khmers rouges, qui ont éliminé, de 1975 à 1979, entre 1,3 et 2,3 millions de personnes sur une popu-lation de 7,5 millions de Cambodgiens. L'addition entreprise par
Le Livre noir se poursuit avec l'Europe de l'Est (Karel Bartosek), la Corée du Nord (Pierre Rigoulot), l'Afrique (Yves Santamaria), l'Amérique latine (Pascal Fontaine). Sans oublier le Komintern (Jean-Louis Panné et Stéphane Courtois), structure internationale paramilitaire dirigée par Moscou et qui, au cours de la guerre d'Espagne, assassina quantité de membres des Brigades internationales qui n'étaient pas «dans la ligne».
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