Bonjour
Dans la correspondance de Spinoza (publiée aux éditions Garnier-Flammarion), il y a une objection que lui font souvent ses correspondants : si tout ce qui passe dans la nature se passe suivant une nécessité inflexible, dont l'origine se trouve en Dieu, Dieu lui-même agissant nécessairement conformément à sa nature, ALORS en quel sens peut-on encore parler de responsabilité morale de nos actes et de culpabilité? Si on était pas libre de pécher, pire, si Dieu a fait que nécessairement nous péchions, alors nous avons là une excuse toute prête : c'est pas ma faute, je ne pouvais pas me contrôler, c'est Dieu qui a fait que je pèche, par son décret éternel. Et donc on ne devrait pas me punir, car je n'ai pas eu le choix, je n'ai pas moi-même participé à la conception de toute la nature, de laquelle il suivrait nécessairement que j'agisse mal. Aussi étrange que cela paraisse, dans cette affaire je suis une victime, monsieur le Juge. Victime de forces qui me dépassent infiniment, simple exécutant de la volonté nécessaire de Dieu. Je ne peux même pas être tenu pour responsable d'être d'accord ou non avec la nécessité par laquelle j'agis, car cet accord ou ce désaccord sont eux-mêmes un autre effet de la nécessité, et donc pas plus en mon pouvoir.
Qu'est-ce qu'être responsable? Être responsable suppose qu'on agit, qu'on ne fait pas que subir. Mais comprenez bien ce que je veux dire par "agir". Si une personne cogne un clou avec un marteau, dans un sens le marteau "agit", puisqu'il percute le clou, mais en un sens beaucoup plus vrai, il est purement passif, il ne fait que suivre le mouvement du bras de la personne, sans avoir la moindre volonté de résistance ou d'objection (étant une chose inanimée). Donc si une personne en frappe une autre avec un marteau, c'est pas le marteau qu'on accuse, c'est la personne qui le tenait, qui, elle, pouvait choisir.
Autre cas : si une personne inocule la rage à un chien puis le lâche dans un parc, le chien ne sera pas responsable des victimes qu'il fait, car il est poussé par les forces incontrôlables à attaquer. Par contre, on va accuser la personne qui a inoculé la rage à un chien. Et ce, même si le chien est pas un simple objet inanimé comme le marteau.
Bon eh bien, pour les fatalistes, Dieu c'est comme ça : les humains sont des instruments entre ses mains, des instruments animés, des instruments pensants certes, mais qui n'ont aucune efficacité propre. Ils sont purement passifs : ils transmettent le mouvement qu'ils ont reçu, comme des engrenages dans un mécanisme. On a l'illusion que les humains agissent librement seulement parce qu'on les voit agir et qu'on ne comprend pas la raison ou la force qui les fait agir nécessairement. Et les humains sont pas plus libres de donner ou non leur consentement à leur sort : ce consentement serait lui-même nécessité par la volonté de Dieu au moment où il le veut et chez qui il le veut. Et un humain ne devient pas plus libre en se révoltant : cette révolte aussi est une suite nécessaire du monde créé et voulu par Dieu, loin de s'opposer à Dieu.
Tout n'est pas si noir cependant. Croire en la nécessité universelle peut susciter en nous de la compassion pour les problèmes des autres humains, leurs maladies, leurs échecs, leurs fautes, puisqu'ils n'en sont pas responsables et sont des victimes de la destinée.
Par contre, se croire déterminé de toute éternité, sans possibilité d'en échapper, cela peut aussi, chez certains, mener à des conduites immorales, égoïstes, malhonnêtes, insensibles, voire débauchées. En effet, les gens n'auront plus besoin de rendre compte de leurs actes, de se justifier, puisque tout est nécessaire, tout est voulu et pensé par Dieu, cette nécessité qui me détermine excuse donc tout.
Je ferai cependant une objection : Spinoza, l'auteur de cette doctrine, vivait très saintement et n'a jamais abusé des bonnes choses ou triché en se disant qu'il était pas responsable de ce qu'il faisait. Et peu importe qu'on soit libres ou déterminés : il est de notre intérêt de chercher la compagnie des bonnes personnes, qui trouvent leur contentement dans la vertu et le bienveillance, et de fuir la compagnie des mauvais. Et si une personne est vertueuse simplement par crainte des punitions ou d'avoir mauvaise réputation, ou d'aller en enfer, et se croirait tout permis en se sachant déterminée, alors son éducation morale a été bien déficiente et une telle personne m'inspirerait la méfiance.
Dans la correspondance de Spinoza (publiée aux éditions Garnier-Flammarion), il y a une objection que lui font souvent ses correspondants : si tout ce qui passe dans la nature se passe suivant une nécessité inflexible, dont l'origine se trouve en Dieu, Dieu lui-même agissant nécessairement conformément à sa nature, ALORS en quel sens peut-on encore parler de responsabilité morale de nos actes et de culpabilité? Si on était pas libre de pécher, pire, si Dieu a fait que nécessairement nous péchions, alors nous avons là une excuse toute prête : c'est pas ma faute, je ne pouvais pas me contrôler, c'est Dieu qui a fait que je pèche, par son décret éternel. Et donc on ne devrait pas me punir, car je n'ai pas eu le choix, je n'ai pas moi-même participé à la conception de toute la nature, de laquelle il suivrait nécessairement que j'agisse mal. Aussi étrange que cela paraisse, dans cette affaire je suis une victime, monsieur le Juge. Victime de forces qui me dépassent infiniment, simple exécutant de la volonté nécessaire de Dieu. Je ne peux même pas être tenu pour responsable d'être d'accord ou non avec la nécessité par laquelle j'agis, car cet accord ou ce désaccord sont eux-mêmes un autre effet de la nécessité, et donc pas plus en mon pouvoir.
Qu'est-ce qu'être responsable? Être responsable suppose qu'on agit, qu'on ne fait pas que subir. Mais comprenez bien ce que je veux dire par "agir". Si une personne cogne un clou avec un marteau, dans un sens le marteau "agit", puisqu'il percute le clou, mais en un sens beaucoup plus vrai, il est purement passif, il ne fait que suivre le mouvement du bras de la personne, sans avoir la moindre volonté de résistance ou d'objection (étant une chose inanimée). Donc si une personne en frappe une autre avec un marteau, c'est pas le marteau qu'on accuse, c'est la personne qui le tenait, qui, elle, pouvait choisir.
Autre cas : si une personne inocule la rage à un chien puis le lâche dans un parc, le chien ne sera pas responsable des victimes qu'il fait, car il est poussé par les forces incontrôlables à attaquer. Par contre, on va accuser la personne qui a inoculé la rage à un chien. Et ce, même si le chien est pas un simple objet inanimé comme le marteau.
Bon eh bien, pour les fatalistes, Dieu c'est comme ça : les humains sont des instruments entre ses mains, des instruments animés, des instruments pensants certes, mais qui n'ont aucune efficacité propre. Ils sont purement passifs : ils transmettent le mouvement qu'ils ont reçu, comme des engrenages dans un mécanisme. On a l'illusion que les humains agissent librement seulement parce qu'on les voit agir et qu'on ne comprend pas la raison ou la force qui les fait agir nécessairement. Et les humains sont pas plus libres de donner ou non leur consentement à leur sort : ce consentement serait lui-même nécessité par la volonté de Dieu au moment où il le veut et chez qui il le veut. Et un humain ne devient pas plus libre en se révoltant : cette révolte aussi est une suite nécessaire du monde créé et voulu par Dieu, loin de s'opposer à Dieu.
Tout n'est pas si noir cependant. Croire en la nécessité universelle peut susciter en nous de la compassion pour les problèmes des autres humains, leurs maladies, leurs échecs, leurs fautes, puisqu'ils n'en sont pas responsables et sont des victimes de la destinée.
Par contre, se croire déterminé de toute éternité, sans possibilité d'en échapper, cela peut aussi, chez certains, mener à des conduites immorales, égoïstes, malhonnêtes, insensibles, voire débauchées. En effet, les gens n'auront plus besoin de rendre compte de leurs actes, de se justifier, puisque tout est nécessaire, tout est voulu et pensé par Dieu, cette nécessité qui me détermine excuse donc tout.
Je ferai cependant une objection : Spinoza, l'auteur de cette doctrine, vivait très saintement et n'a jamais abusé des bonnes choses ou triché en se disant qu'il était pas responsable de ce qu'il faisait. Et peu importe qu'on soit libres ou déterminés : il est de notre intérêt de chercher la compagnie des bonnes personnes, qui trouvent leur contentement dans la vertu et le bienveillance, et de fuir la compagnie des mauvais. Et si une personne est vertueuse simplement par crainte des punitions ou d'avoir mauvaise réputation, ou d'aller en enfer, et se croirait tout permis en se sachant déterminée, alors son éducation morale a été bien déficiente et une telle personne m'inspirerait la méfiance.