Lundi 12/01/2009 | Posté par Idir Hocini
Sami et Moeze ont été agressés le 8 janvier à Paris à la sortie du lycée Janson de Sailly, par des membres de la Ligue de défense juive, un groupe communautaire extrémiste. Leurs témoignages.
Jeudi 8 janvier, Sami et Moeze, deux lycéens français d’origine tunisienne âgés de 15 et 17 ans, cousins dans la vie, sortent du lycée Janson de Sailly, établissement renommé, situé dans le 16e arrondissement de Paris. Des membres de la Ligue de défense juive (LDJ), mouvement de jeunesse réputé pour ses positions extrêmes, distribuent des tracts aux lycéens, appelant à adhérer à la LDJ (photo). Sami en prend un avant de le jeter à la poubelle. Moeze refuse d’en recevoir un. Ils se font tabasser. Interview.
Que vous est-il arrivé ?
Sami : Je sortais du lycée avec mon groupe d’amis. Des membres de la Ligue de défense juive distribuaient des tracts. Par politesse, j’ai pris celui qu’on m’a tendu puis je l’ai jeté à la poubelle. Ensuite, ils sont venus nous voir pour demander pour quoi je l’avais jeté. Je leur ai dit que je n’en voulais pas. C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à frapper mon cousin (Moeze).
Moeze : Après les cours, j’attendais mon cousin (Sami) devant le lycée pour rentrer avec lui. Je le vois arriver avec un groupe d’amis. Des jeunes de la LDJ leur distribuent des tracts. Mon cousin met celui qu’il a reçu à la poubelle. Un des membres de la LDJ m’interpelle. J’ai à peine le temps de me retourner que déjà je suis encerclé. On essaye de me mettre un tract de force dans la main, je dis à ceux de la LDJ que je n’en veux pas. J’ai à peine fini ma phrase qu’un des jeunes de la LDJ me met un coup de genou par surprise dans le bas-ventre. Un autre enchaîne par une droite dans l’œil. Ils commencent à tous s’exciter, il y a beaucoup de chahut. Un ami essaie de s’interposer, il se prend un coup. Il a porté plainte avec nous. Ceux de la LDJ étaient sept en tout : trois sur moi, deux sur mon cousin qu’ils ont frappé aussi, et deux autres ensuite, en plus, sur lui. Ça fait sept. Ils étaient jeunes, le plus âgé devait avoir 19-20 ans.
A votre avis, qu’est ce qui a déclenché votre agression ?
Sami : Ils étaient là pour se bagarrer. Ils cherchaient les embrouilles. Je pense aussi que mes origines maghrébines ont pu jouer.
Moeze : C’était gratuit mais c’était surtout racial. Y a aucun doute là-dessus, tous les témoins qui ont assisté à la scène sont du même avis. On était plusieurs devant le lycée, moi et mon cousin, ont est les seuls d’origines maghrébine et ils ne s’en sont pris qu’a nous.
Ils vous ont insultés ?
Sami : C’était le chahut. J’ai entendu des insultes mais qui ne m’étaient pas directement adressées.
Moeze : J’avais le visage en sang, j’étais un peu sonné. J’ai entendu des choses, je ne sais pas si on peut les interpréter comme des insultes, c’était du genre : « T’es pas chez toi ici. »
L’actuel conflit au Proche-Orient a-t-il selon vous un rapport avec cette agression ?
Sami : Oui, sûrement, je ne vois pas d’autres raisons.
Moeze : Oui. Le tract était un tract pro-israélien. On se sent tous concernés par le conflit, mais ce n’est pas de cette manière-là qu’il faut agir. Casser du Maghrébin devant un lycée, à quoi ça sert ? Déjà, en sortant du lycée, je les sentais agressifs. Ils ont cherchés la bagarre avec d’autres personnes. Heureusement que ces personnes ont dit qu’elles étaient juives.
Comment vous sentez-vous maintenant ?
Sami : Pas bien. Mentalement, surtout. C’est la première fois que je me fais agresser. Physiquement non plus : j’ai la cloison nasale cassée.
Moeze : Je me sens humilié. On m’a attaqué. Ce n’est pas vraiment les dommages physiques qui me peinent. J’ai le cartilage du nez abîmé, j’ai mal aux yeux et j’ai du mal à suivre les cours. Le médecin m’a prescrit quatre jours de repos. Ce qui est dur, c’est qu’on m’a attaqué pour ma religion, mes origines. Des choses intimes.
Vous sentez-vous en sécurité ?
Samy : Tant que l’enquête n’avance pas, non.
Moeze : Chez moi, dans mon quartier, oui. Mais quand je sors avec mes amis, on se retourne. Je ne suis pas rassuré, c’est un groupe qui à l’air organisé, on m’a dit qu’ils s’entraînaient au krav maga. Je me dis qu’ils connaissent peut-être des gens au lycée.
Vous habitez loin de votre lycée. Pourquoi êtes-vous venus étudier ici ?
Sami : C’est un lycée réputé. Un des meilleurs lycées parisiens.
Moeze : On n’habite pas à coté. On prend les transports tous les jours, parce que c’est un bon lycée, dans un bon quartier, avec des bons profs. On va là-bas pour étudier. Le soir de l’agression, nous, on voulait juste rentrer chez nous.
Votre sentiment sur la communauté juive ?
Sami : Vraiment, aucun problème. Il ne faut pas généraliser, ceux qui nous ont agressés sont des membres d’un groupe communautaire. J’ai eu beaucoup de soutien de la part de mes amis de confessions juifs. Ce groupe qui m’a agressé n’a rien à voir avec eux.
Moeze : Dans ma classe, la plupart des élèves sont juifs. Je n’ai de soucis avec personnes. Cette année, cinq ou six personnes se sont présentées aux élections de délégués de classe. C’est moi qui ai été élu. Parmi mes meilleurs amis, il y a des juifs. La religion, ce n’est pas un critère d’amitié pour moi.
Propos recueillis par Idir Hocini
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