Pourquoi Éric Zemmour devrait être inéligible
"Tout en bas de l’article 24 de la loi de 1881, il est indiqué que l’individu condamné pour provocation à la haine raciste peut être privé de son éligibilité pendant une période de cinq ans au plus", précise Thomas Hochmann, professeur de droit public.
Thomas Hochmann Professeur de droit public à l'Université Paris Nanterre
Éric Zemmour lors d'un débat avant le lancement de la promotion de son nouveau livre La France n'a pas dit son dernier mot, le 04 octobre 2021 à Paris.
Condamné plusieurs fois pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence
racistes, Éric Zemmour ne s’est vu infliger que quelques milliers d’euros d’amende. Une peine plus dissuasive est-elle envisageable?
L’emprisonnement est une punition possible en vertu de la loi, mais il n’est prononcé qu’occasionnellement par les juges, à l’égard de délinquants particulièrement virulents et multirécidivistes. Il peut en effet apparaître disproportionné pour une infraction d’
expression.
Une peine de prison ferme serait en outre contre-productive: elle conférerait à l’intéressé l’aura d’un martyr, et le conduirait sans doute à rédiger dans sa cellule un nouvel ouvrage suivi d’une tournée triomphale à sa libération.
Il existe en revanche une peine qui paraît beaucoup mieux adaptée que l’amende ou l’emprisonnement.
Tout en bas de l’article 24 de la loi de 1881, il est indiqué que l’individu condamné pour provocation à la haine raciste peut être privé de son éligibilité pendant une période de cinq ans au plus. Cette peine complémentaire a été introduite en 1990 par la loi dite “Gayssot”, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Si la proposition de loi initiale prévoyait aussi la privation du droit de vote, le garde des Sceaux Pierre Arpaillange avait obtenu que “ces esprits faux et égarés” ne soient pas “exclus de la communauté nationale”. Il fallait au contraire “leur apprendre la tolérance, le respect d’autrui et la démocratie”. En revanche, ils ne sauraient exercer “ni responsabilité ni autorité” au sein de la collectivité. Leur inéligibilité devait pouvoir être prononcée.
Cette disposition est trop peu utilisée par les tribunaux français. Les rares cas concernent des élus ou des candidats, tel le maire d’une commune du Var ou une candidate municipale du Front national pour des propos particulièrement odieux relatifs, respectivement, aux
Roms et à
Christiane Taubira. Dans la grande majorité des jugements, cependant, la peine d’inéligibilité n’est pas prononcée. On peut comprendre qu’elle paraisse dénuée de pertinence pour des individus
qui ne paraissent animés d’aucune velléité électorale.
Mais les juges n’auraient-ils pas été fort inspirés de la prononcer contre Éric Zemmour, bien avant qu’il ne fasse mine de se lancer dans la campagne présidentielle?