Espiegle69
Evil Halouf
Pour l'essayiste Roland Hureaux, l'Etat islamique tire une partie de sa force militaire des "anciens soldats de Saddam Hussein". La faute aux Américains pour qui "il n'était pas question de tendre la main aux vaincus du Baas". Et pourtant, "le problème posé par l'Etat islamiste ne pourra être réglé que si les sunnites et anciens baasistes retrouvent pleinement leur place dans l'Etat irakien".
La force de l'armée de l'Etat islamique qui occupe le Nord de l’Irak et une partie de la Syrie ne réside pas, comme on pourrait le penser, dans le fanatisme de ses troupes mais dans l'expérience et le savoir-faire de son noyau dur, composé principalement des anciens soldats de Saddam Hussein.
Ces ex-soldats, qui semblent être devenus islamistes par opportunisme, sont d'abord des patriotes irakiens sunnites. Ils ont été entraînés dans une armée qui, pour avoir été vaincue à deux reprises (1991 et 2003) par une armée américaine dotée de moyens infiniment plus importants, n'en était pas moins une des meilleures du monde arabe, du fait en particulier de la guerre contre l'Iran (1980-1988) au cours de laquelle les Irakiens avaient eu le soutien à la fois de l'URSS et de l'Occident.
Dispersés après la guerre de 2003 et l'occupation américaine, ces soldats perdus ont continué la lutte. Depuis 2003, ils ferraillent d'une manière ou d'une autre contre les Américains, contre les chiites que les Etats-Unis ont mis au pouvoir en Irak, contre les Kurdes, sunnites comme eux mais pas arabes. Beaucoup ont été détenus et torturés par l'armée américaine à la prison d'Abou Ghraib. Après avoir embrassé un moment la cause d'Al-Qaïda au Nord de Bagdad, ils ont contribué à la formation de l'armée islamique. C'est dire que tous ceux qui voudront les mettre au pas auront affaire à forte partie.
L'absurdité de la situation est que ni cette force, ni l'Etat islamique, n'existeraient si, après la guerre de 2003, les Américains n'avaient pas multiplié les maladresses. Les flottements qui ont accompagné les débuts de l'occupation américaine n'étaient déjà pas de bon augure. Le premier administrateur nommé, Jay Garner, s'avéra si incompétent qu'il fallut le remplacer au bout d'un mois par Paul Bremer qui resta en poste jusqu'en 2006 et ne fut pas beaucoup plus brillant.
Tenant le régime de Saddam Hussein pour une incarnation du diable, les Américains décidèrent de purger l'administration irakienne de tous les membres du parti Baas. C'était aussi intelligent que si l'on avait décidé, à la chute de l'Union soviétique de gouverner le pays en écartant tous les anciens communistes, c'est-à-dire à peu près tout le monde !
Pour ce qui est de l'armée de Saddam, elle fut immédiatement licenciée, mais sans solde tandis qu'on permettait à ses soldats, probablement par négligence, d'emporter leurs armes. On sait la suite. Pour tous ceux qui connaissent les mœurs de la soldatesque, c'était évidemment le contraire qu'il fallait faire : lui permettre de partir sans armes mais avec solde maintenue, les revenus du pétrole permettant aisément de financer ce maintien.
Mais plus destructrice encore fut la volonté d'appliquer à toute force à l'Irak la règle démocratique, c'est-à-dire majoritaire, sans considération des circonstances particulières de ce pays. L'Irak était gouverné depuis des siècles par la minorité sunnite (environ 35 % de la population) dont les cadres du régime et de l'armée de Saddam étaient principalement issus. La règle majoritaire ne pouvait que conduire au gouvernement la majorité chiite (60 % de la population).
Une minorité longtemps privilégiée n'abandonne pas de gaieté de cœur le pouvoir, surtout si cet abandon s'accompagne de brimades telles celles que l'on imposait aux anciens du régime baasiste. Par ailleurs, la majorité chiite fut très peu portée à laisser une part de pouvoir aux minoritaires, sunnites et kurdes ; l'exclusivisme chiite atteignit son sommet avec le Premier ministre récemment révoqué pour ses excès Nouri Al-Maliki (2006-2014).
Il est clair que laisser en rade, comme les Américains et leurs protégés chiites l'ont fait, une forte minorité disposant d'une assise territoriale dans le Nord du pays, d'une habitude séculaire de domination et d'un bon entraînement aux armes ne pouvait que conduire au chaos. Ce fut le cas d'abord avec la guerre civile en zone sunnite (où étaient impliqués du côté sunnite des volontaires d'Al-Qaïda venus de différents pays) et le terrorisme à Bagdad. C'est aujourd'hui le cas avec l'émergence de l'Etat islamique, le fanatisme étant venu se conjuguer aux frustrations sunnites pour en démultiplier l'impact.
Une solution, préservant le statut des sunnites tout en transférant l'essentiel du pouvoir à la majorité chiite, aurait été de restaurer la monarchie, sous forme constitutionnelle, au bénéfice de l'héritier de l'ancien roi Fayçal II renversé par l'armée en 1958, Chérif Ali ben Hussein, sunnite mais marié à une chiite. Ce personnage fit des offres de services et ouvrit un site, mais pas plus qu'en Afghanistan, les Américains, bons républicains, n'envisagèrent cette option.
C'est dire que les Américains qui s'étaient eux-mêmes instaurés comme pacificateurs et arbitres du Proche-Orient, ont eu à peu près tout faux. Ils ont détruit un Etat, celui de Saddam Hussein, certes peu sympathique mais qui ne menaçait personne et ils ont géré l'après-guerre en dépit du bon sens faisant tout, en particulier, pour exciter l'animosité des sunnites. Au point que certains les soupçonnent, à tort ou à raison, d'avoir voulu volontairement entretenir le chaos.
L'inexpérience et la maladresse n'expliquent en tous les cas pas tout. Il y a la conception de la guerre que se font depuis toujours les Américains : une guerre d'où est absent tout respect de l'adversaire et qui ne saurait être que celle du bien contre le mal, une guerre conçue à partir de critères moraux étriqués. Dès lors que l'armée de Saddam Hussein avait été détruite, il n'était pas question pour eux de tendre la main aux vaincus du Baas pour tourner la page et reconstruire le pays. Non, pour les protestants nord-américains, il n'y a pas de pardon : les baasistes devaient être maudits et exclus du pouvoir jusqu’à la septième génération. Nous voyons le résultat.
Il est clair que le problème posé par l'Etat islamiste ne pourra être réglé que si les sunnites et anciens baasistes retrouvent pleinement leur place dans l'Etat irakien.
Source: Roland Hureaux pour Marianne, 17 Novembre 2015.
La force de l'armée de l'Etat islamique qui occupe le Nord de l’Irak et une partie de la Syrie ne réside pas, comme on pourrait le penser, dans le fanatisme de ses troupes mais dans l'expérience et le savoir-faire de son noyau dur, composé principalement des anciens soldats de Saddam Hussein.
Ces ex-soldats, qui semblent être devenus islamistes par opportunisme, sont d'abord des patriotes irakiens sunnites. Ils ont été entraînés dans une armée qui, pour avoir été vaincue à deux reprises (1991 et 2003) par une armée américaine dotée de moyens infiniment plus importants, n'en était pas moins une des meilleures du monde arabe, du fait en particulier de la guerre contre l'Iran (1980-1988) au cours de laquelle les Irakiens avaient eu le soutien à la fois de l'URSS et de l'Occident.
Dispersés après la guerre de 2003 et l'occupation américaine, ces soldats perdus ont continué la lutte. Depuis 2003, ils ferraillent d'une manière ou d'une autre contre les Américains, contre les chiites que les Etats-Unis ont mis au pouvoir en Irak, contre les Kurdes, sunnites comme eux mais pas arabes. Beaucoup ont été détenus et torturés par l'armée américaine à la prison d'Abou Ghraib. Après avoir embrassé un moment la cause d'Al-Qaïda au Nord de Bagdad, ils ont contribué à la formation de l'armée islamique. C'est dire que tous ceux qui voudront les mettre au pas auront affaire à forte partie.
L'absurdité de la situation est que ni cette force, ni l'Etat islamique, n'existeraient si, après la guerre de 2003, les Américains n'avaient pas multiplié les maladresses. Les flottements qui ont accompagné les débuts de l'occupation américaine n'étaient déjà pas de bon augure. Le premier administrateur nommé, Jay Garner, s'avéra si incompétent qu'il fallut le remplacer au bout d'un mois par Paul Bremer qui resta en poste jusqu'en 2006 et ne fut pas beaucoup plus brillant.
Tenant le régime de Saddam Hussein pour une incarnation du diable, les Américains décidèrent de purger l'administration irakienne de tous les membres du parti Baas. C'était aussi intelligent que si l'on avait décidé, à la chute de l'Union soviétique de gouverner le pays en écartant tous les anciens communistes, c'est-à-dire à peu près tout le monde !
Pour ce qui est de l'armée de Saddam, elle fut immédiatement licenciée, mais sans solde tandis qu'on permettait à ses soldats, probablement par négligence, d'emporter leurs armes. On sait la suite. Pour tous ceux qui connaissent les mœurs de la soldatesque, c'était évidemment le contraire qu'il fallait faire : lui permettre de partir sans armes mais avec solde maintenue, les revenus du pétrole permettant aisément de financer ce maintien.
Mais plus destructrice encore fut la volonté d'appliquer à toute force à l'Irak la règle démocratique, c'est-à-dire majoritaire, sans considération des circonstances particulières de ce pays. L'Irak était gouverné depuis des siècles par la minorité sunnite (environ 35 % de la population) dont les cadres du régime et de l'armée de Saddam étaient principalement issus. La règle majoritaire ne pouvait que conduire au gouvernement la majorité chiite (60 % de la population).
Une minorité longtemps privilégiée n'abandonne pas de gaieté de cœur le pouvoir, surtout si cet abandon s'accompagne de brimades telles celles que l'on imposait aux anciens du régime baasiste. Par ailleurs, la majorité chiite fut très peu portée à laisser une part de pouvoir aux minoritaires, sunnites et kurdes ; l'exclusivisme chiite atteignit son sommet avec le Premier ministre récemment révoqué pour ses excès Nouri Al-Maliki (2006-2014).
Il est clair que laisser en rade, comme les Américains et leurs protégés chiites l'ont fait, une forte minorité disposant d'une assise territoriale dans le Nord du pays, d'une habitude séculaire de domination et d'un bon entraînement aux armes ne pouvait que conduire au chaos. Ce fut le cas d'abord avec la guerre civile en zone sunnite (où étaient impliqués du côté sunnite des volontaires d'Al-Qaïda venus de différents pays) et le terrorisme à Bagdad. C'est aujourd'hui le cas avec l'émergence de l'Etat islamique, le fanatisme étant venu se conjuguer aux frustrations sunnites pour en démultiplier l'impact.
Une solution, préservant le statut des sunnites tout en transférant l'essentiel du pouvoir à la majorité chiite, aurait été de restaurer la monarchie, sous forme constitutionnelle, au bénéfice de l'héritier de l'ancien roi Fayçal II renversé par l'armée en 1958, Chérif Ali ben Hussein, sunnite mais marié à une chiite. Ce personnage fit des offres de services et ouvrit un site, mais pas plus qu'en Afghanistan, les Américains, bons républicains, n'envisagèrent cette option.
C'est dire que les Américains qui s'étaient eux-mêmes instaurés comme pacificateurs et arbitres du Proche-Orient, ont eu à peu près tout faux. Ils ont détruit un Etat, celui de Saddam Hussein, certes peu sympathique mais qui ne menaçait personne et ils ont géré l'après-guerre en dépit du bon sens faisant tout, en particulier, pour exciter l'animosité des sunnites. Au point que certains les soupçonnent, à tort ou à raison, d'avoir voulu volontairement entretenir le chaos.
L'inexpérience et la maladresse n'expliquent en tous les cas pas tout. Il y a la conception de la guerre que se font depuis toujours les Américains : une guerre d'où est absent tout respect de l'adversaire et qui ne saurait être que celle du bien contre le mal, une guerre conçue à partir de critères moraux étriqués. Dès lors que l'armée de Saddam Hussein avait été détruite, il n'était pas question pour eux de tendre la main aux vaincus du Baas pour tourner la page et reconstruire le pays. Non, pour les protestants nord-américains, il n'y a pas de pardon : les baasistes devaient être maudits et exclus du pouvoir jusqu’à la septième génération. Nous voyons le résultat.
Il est clair que le problème posé par l'Etat islamiste ne pourra être réglé que si les sunnites et anciens baasistes retrouvent pleinement leur place dans l'Etat irakien.
Source: Roland Hureaux pour Marianne, 17 Novembre 2015.