Durant le protectorat, Casablanca a eu son bordel à ciel ouvert. Parquées dans cet immense quartier, les prostituées sont soumises à une surveillance draconienne, toujours disponibles pour satisfaire les clients.
En 1914, à Casablanca, les autorités du protectorat décident de grouper des prostituées dans des ruelles de la vieille médina par crainte d'une contagion de syphilis. C'est leur grande hantise, un péril qui justifie à leurs yeux la mise en place de quartiers réservés, des zones sécurisées
où l'on pourra circoncire le mal et contrôler sa diffusion par les professionnelles du sexe. La méthode a déjà été utilisée en Algérie, les Français ne font que la répéter au Maroc, leur nouvelle colonie. Un mois après la conquête d'Alger, l'une des premières mesures que prend l'armée coloniale est de réglementer la prostitution ( ) À côté des rues réservées existent parfois des quartiers entiers, véritables villes dans la ville, explique Christelle Taraud, historienne et auteur de La prostitution coloniale (Ed. Payot, 2003). Les prostituées de Casablanca sont ainsi parquées dans des maisons bâties en vieille médina. Les terrains appartiennent à un certain Prosper Ferrieu qui, bien malgré lui, donne son nom au quartier chaud. Déformé par la population, Prosper devient Bousbir, un endroit clos où les Français contrôlent la santé des prostituées en leur imposant des visites médicales régulières. Le business du sexe y fleurit une bonne dizaine d'années, mais la situation géographique de Bousbir fait désormais tâche. Le quartier s'inscrit dans un centre-ville en plein essor sous Lyautey, bien trop visible au milieu des grands rêves urbanistiques du maréchal. Bousbir est déplacé loin des regards, à Derb Soltane qui accueille le nouveau quartier réservé.
http://www.telquel-online.com/395/couverture_395.shtml
En 1914, à Casablanca, les autorités du protectorat décident de grouper des prostituées dans des ruelles de la vieille médina par crainte d'une contagion de syphilis. C'est leur grande hantise, un péril qui justifie à leurs yeux la mise en place de quartiers réservés, des zones sécurisées
où l'on pourra circoncire le mal et contrôler sa diffusion par les professionnelles du sexe. La méthode a déjà été utilisée en Algérie, les Français ne font que la répéter au Maroc, leur nouvelle colonie. Un mois après la conquête d'Alger, l'une des premières mesures que prend l'armée coloniale est de réglementer la prostitution ( ) À côté des rues réservées existent parfois des quartiers entiers, véritables villes dans la ville, explique Christelle Taraud, historienne et auteur de La prostitution coloniale (Ed. Payot, 2003). Les prostituées de Casablanca sont ainsi parquées dans des maisons bâties en vieille médina. Les terrains appartiennent à un certain Prosper Ferrieu qui, bien malgré lui, donne son nom au quartier chaud. Déformé par la population, Prosper devient Bousbir, un endroit clos où les Français contrôlent la santé des prostituées en leur imposant des visites médicales régulières. Le business du sexe y fleurit une bonne dizaine d'années, mais la situation géographique de Bousbir fait désormais tâche. Le quartier s'inscrit dans un centre-ville en plein essor sous Lyautey, bien trop visible au milieu des grands rêves urbanistiques du maréchal. Bousbir est déplacé loin des regards, à Derb Soltane qui accueille le nouveau quartier réservé.
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L'Orient fantasmé
Bousbir néchappe pas aux clichés de lOrient. Les harems, les mauresques dénudées, Shéhérazade et autres chimères nourrissent le mythe érotique oriental. C'est un lieu surinvesti d'images exotiques, note l'anthropologue Abdelmajid Arrif. Littérature, dessins et photos d'époque regorgent de descriptions dithyrambiques sur la sensualité arabe, les longues tresses, le khôl, les lèvres rouges et la légèreté des gazelles de l'Orient. Peintres, poètes maudits, journalistes, navigateurs, militaires stationnés à Casablanca ( ) ont créé une légende érotique sur Bousbir. Elle chante les charmes de la femme voilée et reprend à son compte toutes les fabulations des contes des Mille et Une Nuits et tous les poncifs de lOrient. La vérité est tout autre , dénoncent pourtant Mathieu et Maury dans leur étude sur Bousbir. Selon lhistorienne Christelle Taraud, c'est la colonisation qui construit cette image sublimée des femmes, et donc des prostituées. Des récits de voyage content les murs frivoles et folkloriques, dressent le portrait de la prostituée de tente dans telle ou telle tribu. La tentation de l'Orient ( ), c'est aussi la quête des plaisirs charnels, résume la chercheuse. Les colonies deviennent alors l'éden sexuel, le harem des Occidentaux. Les cartes postales coloniales, scènes et types, ont pétri cet imaginaire outre-mer. Des types ethniques de femmes apparaissent, dénudées. La Mauresque, l'Arabe, la Berbère et autres Fatma ourdissent l'image transcendée de la Shéhérazade à effeuiller. L'imaginaire érotique colonial repose sur un malentendu entretenu, écrit Christelle Taraud : L'invitation lascive des femmes représentées sur les photographies (seins nus et cigarette à la bouche) et décrites dans les ouvrages serait une pratique générale et quotidienne au Maghreb. Un autre revers de cet Orient imaginaire permet de démystifier les "indigènes" de Bousbir. Mathieu et Maury les décrivent comme des "figurantes trop fardées, faussement enjouées" aux vies lamentables. Christelle Taraud, elle, explique que les Occidentaux ont créé des métaphores de leur manque. Un officier au service de la république lors de la guerre du Maroc, cité par Mustapha El Qadery, résume parfaitement le côté trash de ce faux Orient, en écrivant : Nous sommes venus dans ce pays pour civiliser les hommes et pour nous faire syphiliser par les femmes. Elle est loin, la Shéhérazade