Affaire Pegasus : « Trop facile » d'accuser le Maroc

Pegasus : le patron de NSO Group dit que le Qatar ou le BDS sont à l'origine du scandale des logiciels espions​

"Il y a des gens qui ne veulent pas que la crème glacée soit importée en Israël ou que la technologie soit exportée", déclare Shalev Hulio

Shalev Hulio serait "très heureux" d'une enquête sur l'utilisation abusive de son logiciel espion (capture d'écran YouTube)
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Le cofondateur et PDG de NSO Group, Shalev Hulio, a déclaré à un journal israélien que « le Qatar ou le mouvement BDS – peut-être les deux » sont à l'origine du scandale entourant le logiciel espion Pegasus de son entreprise .

Amnesty International, Forbidden Stories et un consortium d'organisations médiatiques internationales ont allégué que le logiciel espion avait été utilisé dans le piratage de smartphones appartenant à des journalistes, des responsables, des militants des droits humains et des dirigeants mondiaux.
Le groupe d'enquête dit avoir acquis une liste de 50 000 numéros de téléphone qui semblent être des cibles, identifiées par les clients de la société israélienne, à espionner à l'aide de Pegasus.


Les numéros du président français Emmanuel Macron, du roi du Maroc Mohammed VI , du président irakien Barham Salih et du Premier ministre pakistanais Imran Khan sont parmi les cibles apparentes.
"Nous serons très heureux s'il y a une enquête sur l'affaire, car nous pourrons laver notre nom", a déclaré Hulio à Israel Hayom.
"Nous n'avons et n'avons jamais eu de liens avec la liste qui a été publiée, et s'il s'avère qu'un client a exploité notre système pour traquer des journalistes ou des défenseurs des droits humains, ils seront immédiatement coupés", a-t-il ajouté. dit Hulio. "Nous l'avons prouvé par le passé, y compris avec certains de nos plus gros clients, et nous avons cessé de travailler avec eux."

« J'ai commencé à être stressé »​

Hulio, 39 ans, a déclaré avoir appris l'enquête pour la première fois il y a environ un mois.
"Un tiers m'a contacté, quelqu'un avec qui nous travaillons, qui n'est pas impliqué [dans l'affaire] et m'a dit : 'Écoutez, ils ont pénétré vos serveurs à Chypre et la liste complète des cibles NSO a été divulguée'", a-t-il déclaré. mentionné.
"J'ai commencé à être stressé, mais après un moment je me suis calmé, à la fois parce que nous n'avons pas de serveurs à Chypre et aussi parce que nous n'avons pas de liste de" cibles ". Ça ne marche pas comme ça : chaque client est un client unique. Nous n'avons pas de lieu central où sont collectées toutes les cibles des clients.
Cependant, quelques jours plus tard, Hulio a été contacté par un autre homme d'affaires avec une histoire identique qui faisait le tour du marché à propos d'une "liste de cibles" NSO.
Lorsqu'on lui a demandé qui, selon lui, était derrière le scandale, Hulio a répondu : "Je pense qu'à la fin, ce sera le Qatar, ou le mouvement BDS, ou les deux.
 
"Au final, ce sont toujours les mêmes entités. Je ne veux pas paraître cynique, mais il y a des gens qui ne veulent pas que la crème glacée soit importée ici [en Israël] ou que la technologie soit exportée", a-t-il ajouté, faisant référence à la controverse entourant la décision de Ben et Jerry's d'arrêter de vendre son produit dans les territoires palestiniens occupés.

« On ne sait pas pourquoi nous sommes sous le feu »​

Les clients gouvernementaux qui auraient utilisé les logiciels espions de NSO comprennent l' Arabie saoudite , les Émirats arabes unis , Bahreïn et le Maroc .
Hulio a été abordé sur la façon dont NSO a répété à plusieurs reprises qu'il avait un contrôle total sur le logiciel, mais aussi que c'était le client qui décidait qui suivre.


"Contrairement aux armes à feu, sur lesquelles vous n'avez aucun contrôle à la minute où vous les vendez, ici nous avons le contrôle. Si quelqu'un en abuse, nous pouvons les couper", a déclaré Hulio.
"Je ne comprends pas. Mercedes vend une voiture, puis une personne ivre prend le volant, renverse quelqu'un et le tue. Est-ce que quelqu'un blâme Mercedes ?
"On ne sait pas pourquoi nous sommes sous le feu. S'il y a des plaintes, elles devraient être dirigées contre les gouvernements qui ont violé [les règlements] et écouté les journalistes. Que les gens prétendent qu'ils ont violé les droits humains."

Restrictions à l'exportation ?​

Israël est un leader mondial dans la recherche et le développement de cyber-outils et de cyberguerre. Il a établi des unités technologiques et de renseignement hautement qualifiées au Mossad, au service de sécurité intérieure du Shin Bet, à l'armée et à l'unité de recherche et développement du ministère de la Défense. Hulio et le co-fondateur de NSO Omri Lavie ont émergé des rangs d'une de ces unités.
Suite à l'annonce de la découverte de la liste des 50 000 numéros de téléphone portable, une équipe interdisciplinaire de gestion de crise israélienne composée de l'agence d'espionnage du Mossad et des ministères de la Défense et des Affaires étrangères a été mise en place pour répondre au scandale.
Un haut législateur israélien a déclaré jeudi qu'à la suite des révélations, un panel parlementaire pourrait examiner les restrictions à l'exportation de logiciels espions.



 

Alain Chouet (ex-DGSE): «Quand on a des choses secrètes à dire, on le dit sur des réseaux secrets»​




L'un des téléphones du président Emmanuel Macron a-t-il été la cible des services secrets marocains via le logiciel israélien Pegasus ? Oui, selon le consortium de presse Forbidden Stories et l'ONG Amnesty International. Non, réplique le gouvernement marocain, qui menace de lancer des procédures judiciaires contre quiconque l'accuse d'avoir eu recours à ce logiciel d'espionnage. Alain Chouet, ancien maître-espion et chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, est l'invité de RFI.



RFI : Si l’on en croit le consortium de presse Forbidden Stories et l'ONG Amnesty International, il y a eu une frénésie de surveillance de la part du Maroc. Plus de 10 000 numéros ciblés. Êtes-vous surpris ?
Alain Chouet
:

Je suis surtout surpris que cela surprenne tout le monde. Et si nos hommes politiques, nos journalistes et nos médias font l’objet de ce genre d’attaques, c’est parce qu’ils ne prennent pas les précautions élémentaires que tous les services de sécurité français passent leur temps à leur seriner, notamment en matière d’utilisation de téléphone portable. Quand on a des choses secrètes à dire, on le dit sur des réseaux secrets, en tout cas sur des réseaux protégés, et pas sur des Iphone du commerce.

Donc, vous êtes d’accord avec le sénateur d’opposition (LR) Bruno Retailleau qui dit que, dans l’utilisation de ses téléphones portables, le président Emmanuel Macron a été « naïf » et « imprudent » ?

Il n’a pas été… Bon, d’abord, je ne connais pas monsieur Retailleau. Mais le président [Emmanuel] Macron a été, comme tous les autres hommes politiques français, on l’a vu avec Nicolas Sarkozy, Bismuth et compagnie, effectivement d’une grande imprudence et d’une grande naïveté dans l’utilisation de ce genre de moyen de communication.

Mais il faut bien que le chef de l’État puisse converser avec des gens au téléphone !

Mais, absolument. Mais il a pour cela à sa disposition des services techniques qui seront en mesure de lui fournir des logiciels de cryptage ou des téléphones cryptés qui peuvent très bien être utilisés.

Alors, vous dites que les Marocains s’intéressent notamment à leur diaspora en Europe et en France. Est-ce à dire qu’ils privilégient la lutte antiterroriste ou est-ce qu’ils sont dans une obsession contre tous les adversaires du « Sahara marocain » ?

C’est plus large que cela. Les services marocains sont des services extrêmement professionnels, qui fonctionnent à peu près sur le modèle français. Là, ils s’intéressent à tout ce qui intéresse la sécurité du Royaume, c’est-à-dire le terrorisme bien sûr, les problèmes de la relation avec l’Algérie et les problèmes sahraouis, mais aussi l’opposition éventuelle au régime.

On prête aux services marocains une participation active dans la localisation et la neutralisation d’Abdelhamid Abaaoud, l’un des organisateurs de l’attentat du Bataclan de novembre 2015. Est-ce à dire que les services marocains sont très utiles aux services français ?

Ils ont toujours été extrêmement précieux, extrêmement utiles. Depuis une cinquantaine d’années, les services marocains et les services français travaillent la main dans la main en matière d’antiterrorisme. Avant, c’était le terrorisme euro palestinien, ou les terrorismes d’État -Iran, Syrie, Libye-, et maintenant, c’est le terrorisme islamiste. Les services marocains ont toujours aidé les services français, mais aussi les services belges ou les services allemands dans la détection et le suivi d’un certain nombre de menaces.

Vous dites que vous n’êtes pas surpris par tout cela. Mais, tout de même, est-ce que le fait de cibler le téléphone personnel du chef de l’État français n’est pas un acte hostile de la part de l’allié marocain ?

Oui, si on veut. Mais, les écoutes de la NSA [National Security Agency, l’agence de renseignement américaine chargée des écoutes électroniques] également sur le président de la République [à l’époque de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande] ou sur la chancelière allemande Angela Merkel, ce sont aussi des actes hostiles. Et ce que cette histoire révèle, c’est que tout le monde, en tout cas tous ceux qui en ont la possibilité, écoutent les autres dans leurs domaines d’intérêt.
 
Est-ce à dire que les services français écoutent le roi Mohammed VI ?

Ah, ça, je n’en sais rien et même si je le savais, je ne vous le dirais pas. Mais si cela présentait un intérêt quelconque, on a les moyens techniques de le faire.

Alors vous dites que tout vient de deux services importants à Rabat, la Direction générale des études et de la documentation (DGED) et la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST). Quel est le plus puissant des deux ?
Je pense que c’est le service intérieur, parce que c’est celui le plus impliqué dans la sécurité du Royaume.
La DGST ?

Oui, c’est ça. La Direction générale de surveillance du territoire, un héritage de la DST (Direction de la surveillance du territoire] française. C’est certainement le service qui a à la fois le plus de moyens et le plus de puissance.

Et on dit que son chef, Abdellatif Hammouchi, est l’un des hommes forts du régime. Vous confirmez ?
Les chefs des services spéciaux, dans tous les pays arabes, sont toujours les hommes forts du régime.

Oui, mais celui-là en particulier ?
Celui-là en particulier est un homme fort du régime.

Vous le connaissez ?
Pas personnellement. Mais enfin, je vois bien qui c’est. Mais vous savez, [Mohamed] Oufkir était aussi le personnage le plus puissant du régime. On sait comment il a fini !

Il a essayé de renverser le roi Hassan II [lors d’un coup d’État raté en 1972, au terme duquel il a été éliminé] …
Donc, les monarques ou les présidents du monde arabe savent très bien que leurs chefs des services spéciaux sont des gens extrêmement puissants et ils les ont extrêmement à l’œil.

Le roi Mohammed VI lui-même aurait été écouté par ses propres services. Est-ce que c’est crédible ?
Je n’en sais rien. Il faudrait en avoir la preuve pour pouvoir gloser là-dessus. Moi, je ne sais pas quel est l’état actuel de la relation entre sa majesté le roi et ses services. Je les vois mal prendre le risque de faire quelque chose qu’il n’aurait pas approuvé.

L’épouse du roi Lalla Salma Bennani sur écoute ?

C’est pareil. On est à peu près dans la même configuration que pour le roi lui-même.
« Si les faits sont avérés, ils sont graves », déclare le Premier ministre français, Jean Castex. Est-ce que, après enquête, la France est susceptible d’émettre une vive protestation contre le Royaume marocain ?

On peut toujours émettre de vives protestations. On a émis aussi de vivres protestations sur les écoutes de la NSA depuis une vingtaine d’années et, régulièrement, on fait une vive protestation. Le résultat n’est pas vraiment tangible. On émettra des vives protestations. On ne va pas aller faire la guerre aux Marocains.

Est-ce que cela peut changer la vision du Maroc par la France ?

À mon avis, non. Ça, c’est une tempête dans un verre d’eau. Dans 15 jours, plus personne n’en parlera.


 

Logiciel Pegasus. Le Maroc lance de nouvelles ripostes judiciaires en France contre les médias​

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Le Maroc, accusé d’avoir eu recours au logiciel d’espionnage Pegasus, multiplie les attaques judiciaires en France contre les médias ayant révélé ou dénoncé l’affaire, notamment via des procédures en diffamation à la recevabilité toutefois très incertaine.​



Le Maroc, accusé d’avoir eu recours au logiciel d’espionnage Pegasus, multiplie les attaques judiciaires en France contre les médias ayant révélé ou dénoncé l’affaire, notamment via des procédures en diffamation à la recevabilité toutefois très incertaine.
Le Monde, Mediapart, Radio France… en ligne de mire
Le 22 juillet, le Maroc avait lancé une première procédure en diffamation contre Amnesty et Forbidden Stories, les deux organisations ayant obtenu la liste des numéros de téléphones ciblés par les clients de Pegasus, logiciel développé par le groupe israélien NSO.
Mercredi 28 juillet, l’avocat du royaume du Maroc, Me Olivier Baratelli, a annoncé à l’AFP avoir fait remettre « quatre nouvelles citations directes en diffamation ».

Deux d’entre elles visent le quotidien Le Monde, membre du consortium de 17 médias internationaux ayant révélé le scandale, et son directeur Jérôme Fenoglio, une troisième poursuit Mediapart et son patron Edwy Plenel, et la dernière attaque Radio France, également membre du consortium, a précisé l’avocat.
Une première audience procédurale est prévue le 15 octobre devant la chambre spécialisée en droit de la presse, mais si un procès se tenait, il ne devrait pas avoir lieu avant environ deux ans.
D’autant que cette procédure va se heurter à une jurisprudence récente de la Cour de cassation : saisie déjà par le Maroc après plusieurs rejets de ses plaintes, la Cour a jugé en 2019 qu’un État ne pouvait pas engager de poursuites en diffamation publique, faute d’être un « particulier » au sens de la loi sur la liberté de la presse.

« Une cabale médiatique »
« L’État marocain est parfaitement recevable » puisqu’il agit aussi pour « le compte de ses administrations et de ses services », assure Me Baratelli qui entend ferrailler contre cette jurisprudence défavorable.
Le quotidien Le Monde, sollicité par l’AFP, indique pour sa part «attendre de vérifier la réalité et la teneur de ces poursuites».
De son côté, le ministre marocain de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, dépose mercredi à Paris une plainte en « dénonciation calomnieuse » à l’encontre de Mediapart et de son directeur de publication Edwy Plenel, a annoncé dans un communiqué l’avocat du ministre, Me Rodolphe Bosselut.
Le ministre entend contester « les allégations insidieuses et les calomnies colportées depuis plusieurs jours par ces médias qui portent des accusations graves, contre des institutions qu’il représente, sans avancer la moindre preuve concrète », poursuit le communiqué.
Le ministre dénonce encore « une cabale médiatique ».
Sa plainte en « dénonciation calomnieuse » répond aux plaintes contre X déposées le 19 juillet par Mediapart, dont deux journalistes ont été espionnés via le logiciel Pegasus.

 
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