Dans une enquête, « les Fugitives. Partir ou mourir en Arabie saoudite », la journaliste Hélène Coutard retrace la fuite d’une quinzaine de jeunes femmes, souvent digne d’un scénario de cinéma, vers le Canada, l’Australie ou la France. Entretien.
Elles rêvaient d’une seule chose : fuir l’Arabie saoudite et être libres. Libres de s’habiller comme elles veulent, de faire les études qu’elles veulent, d’épouser qui elles veulent – ou de n’épouser personne. Elles ont bravé les interdictions familiales, les lois nationales et ont réussi à échapper à une société archaïque, patriarcale et désespérément figée. Dans « les Fugitives. Partir ou mourir en Arabie saoudite », une enquête publiée début février au Seuil, la journaliste Hélène Coutard retrace la fuite d’une quinzaine de jeunes femmes, souvent digne d’un scénario de cinéma, vers le Canada, l’Australie ou la France. Elle décrit leur crainte d’être retrouvées par les sbires dépêchés par leurs familles ou par le royaume lui-même et d’être ramenées en Arabie saoudite où les attend la prison, la violence et l’enfermement. Elle raconte leur audace, au péril de leur vie, et leur fol espoir d’émancipation.La fuite médiatisée de Rahaf Mohammed en janvier 2019, qui affirmait avoir subi des violences de la part de sa famille, a donné un coup de projecteur sur le sort d’innombrables femmes soumises aux pressions psychologiques et physiques dans l’un des pays du monde les plus restrictifs pour les droits des femmes. C’est par cette histoire qu’Hélène Coutard a découvert que l’évasion – car c’est bien d’évasion qu’il s’agit – de Rahaf Mohammed n’était pas un cas isolé. Elles sont nombreuses à tout quitter, rompant les ponts avec leur famille, pour se soustraire au système du tutorat qui veut que leur vie, de la naissance à la mort, soit contrôlée par un homme (le père, le mari, le frère ou même le fils). « Fugitives » et réfugiées ailleurs, elles continuent d’être persécutées et menacées. « Pour y échapper, elles doivent vivre en fugitives, déguiser leurs comptes sur les réseaux sociaux, déménager régulièrement, ne pas répondre aux inconnus, mentir sur leur nationalité. Elles ne sont pas simplement parties, elles ont fui, et une fuite ne s’arrête jamais vraiment », explique Hélène Coutard. Entretien.
Lorsque les femmes que vous avez rencontrées ont décidé de quitter l’Arabie saoudite dans le plus grand secret, elles n’avaient pas encore le droit de voyager seules – un droit octroyé à l’été 2019. Souvent, les passeports, racontez-vous, sont enfermés dans des coffres. Comment organisent-elles leur fuite ?
Pendant longtemps, elles profitaient d’un voyage privé à l’étranger pour s’échapper, surtout les plus jeunes. C’est ce qui est arrivé à Julia [prénom modifié]. A peine arrivée à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulles, pour une « lune de miel » à Paris après son mariage forcé, profitant d’un moment d’inattention de son mari, elle s’est présentée devant des policiers de la douane française pour leur demander de l’aide. Elle a été ainsi arrachée à son « tuteur » et a pu être prise en charge par la Croix-Rouge. Une autre méthode, plus simple, consiste à convaincre sa famille d’étudier dans un autre pays. Les bourses d’études, très nombreuses dans le royaume, permettent aux femmes de pouvoir se rendre à l’étranger, parfois seules, de demander l’asile et de ne jamais revenir.