Face à face avec les Talibans
mardi 10 mars 2009 - 08h:31
Ghaith Abdul Ahad - The Guardian
Chaque famille envoie un de ses fils au Jihad, tandis que le reste des hommes travaillent dans les champs : « c’est comme pour la madrasa, un fils va étudier la religion et les autres travaillent, il en est de même avec le Jihad : un fils combat et les autres travaillent ».
Qomendan Hemmet s’est assis les jambes croisées sous une fenêtre de la pièce recouverte de torchis. Son épaule couverte par une vieille veste militaire s’appuie contre le mur et une antenne de radio sort de sa poche. À côté de lui se repose son second, enveloppé dans une grande couverture, silencieux et somnolent. Tout autour de la salle sont assis ses hommes, leurs visages marqués par des années de combat et de dénuement, habillées « shalwar kameez » [robes traditionnelles, portées par les hommes et les femmes - N.d.T], le noir des yeux accentué par le kohl. Les radios ont grésillé, les téléphones ont sonné sans arrêt puis d’autres combattants sont arrivés, ont bu du thé puis sont repartis avec des instructions.
« Salar est le nouveau Fallouja, » déclare Qomendan Hemmet de façon emphatique. « Les Américains et l’armée afghane contrôlent la route et cinq mètres de chaque côté. Le reste est notre territoire. »
La district de Salar dans la province de Wardak est à 80 kilomètres au sud de Kaboul. La route entre Kandahar et Kaboul qui traverse cette zone est une importante voie d’approvisionnement pour les Etats-Unis et les troupes de l’OTAN. La route rappelle celle de Bagdad à Falluja : jalonnée de trous d’IED [dispositifs explosifs improvisés), de carcasses de containers et de camions incendiés de l’OTAN.
La fréquence des attaques des Talibans est plus élevée cette année qu’à tout autre moment depuis 2001. Quatre soldats britanniques ont été tués la semaine dernière, trois d’entre eux lorsqu’un garçon de 13 ans s’est fait exploser dans la province d’Helmand. Le secteur contrôlé par le gouvernement afghan se réduit aujourd’hui aux îlots fortifiés que sont les villes.
Le jour qui précède j’étais en compagnie d’une douzaine d’Afghans, observant Qomendan et ses hommes en action. Un homme équarquillant ses yeux pour mieux voir avait déclaré d’une voix autorisée : « janghi » [guerre] et le ciel lui avait fait écho avec des bruits sourds et des explosions. Deux ou trois camions pick-up emplis de lance-roquettes et de miliciens afghans chargés de veiller à la sécurité des convois d’approvisionnement se sont enfuis du champ de bataille laissant derrière eux un nuage de poussière. Plus bas sur la route trois blindés américains remplissaient l’air du bruit de leurs mitrailleuses lourdes.
C’était la fin d’une bataille qui avait duré au moins une heure et comme le soleil descendait très bas dans l’horizon, les tirs se sont faits plus intermittents. Un F-16 de couleur gris sombre et volant à basse altitude a tiré plus loin, laissant deux colonnes de fumée à l’horizon. Les Américains se sont déplacés vers un village du côté de la route, des Afghans ont sauté dans leurs autobus et taxis, et le trafic a repris sur un tapis de douilles de balles.
La route menant au quartier de Hemmet est une simple voie pleine de détritus passant entre de hauts murs de torchis et des vergers. Un jeune Taliban nouvellement recruté nous a menés au centre de commandement, sa Kalachnikov cachée sous une couverture. Dans le lointain les fortifications d’un poste de l’armée et de la police afghanes étaient visibles.
« Hier je n’avais que 18 combattants, » explique Qomendan, son regard fixant sans ciller sur un point quelque part au milieu de la salle mal éclarée. « Vous avez vu combien de mercennaires et d’Américains étaient là. Avec la bénédiction d’Allah, le combat a changé de nature. Quand j’ai débuté dans ce secteur, il y a trois ans, je n’avais que six combattants, un RPG (lance-grenades) et deux mitrailleuses comme celles-ci. » Il pointait du doigt les mitrailleuses BKC appuyées à la porte. « Maintenant j’ai plus de 500 combattants, 30 mitrailleuses et des centaines de RPG.
« Les Américains ont installé des centaines de policiers afghans qui patrouillent à toute heure dans les rues qu’ils ne contrôlent cependant pas. La semaine dernière ils sont venus en hélicoptères pour fouiller la zone car ils ne peuvent pas amener leurs véhicules ici. Ils ne viennent jamais avec des tanks, le secteur entier est miné. »
Portant d’une longue moustache épaisse et d’une barbe bien coupée et soignée, Qomendan Hemmet est un Taliban vétéran. Il a commencé à combattre alors qu’il avait 17 ans dans less plaines de Shomali au nord de Kaboul contre les forces de l’Alliance du Nord au milieu des années 90. Il est entré en clandestinité après que la capitale soit tombée puis s’est retrouvé à commander la zone de Salar après la mort du commandant précédent il y a trois ans. « Quand nous combattions l’Alliance du Nord, c’était un combat face à face. Cette guerre-ci est plus difficile, l’ennemi contrôle le ciel et il a énormément d’armes. Parfois j’ai peur, chaque être humain ressent la peur. Mais notre souhait est de combattre les kafirs [incroyants]. C’est quelque chose qui nous remplit de joie. »
Les lieutenants de Hemmet s’asseyent autour de la salle. L’un d’entre eux parle parfaitement l’arabe avec un fort accent saoudien qu’il a acquis « en combattant aux côtés des frères arabes ». Sa Kalachnikov, décorée d’anneaux verts et rouges, est posée sur le plancher entre nous. « Mon frère, » dit-il, « la police et l’armée sont comme des aveugles ; ils ne voient rien. »
Hemmet et d’autres commandants Talibans que j’ai rencontrés m’ont décrit le réseau sophistiqué des Talibans et de l’organisation militaire et civile. Chaque province a son propre gouverneur Taliban, son chef militaire et conseil de shura [consultation]. Au-dessous d’ eux sont placés les commandants de district comme Hemmet, lesquels divise ensuite à leur tour leur force en plus petites unités. Beaucoup affirment que l’organisation civile dans les districts contrôlés par les Talibans représentent un système de justice plus efficace que celui du gouvernement [de Karzaï], lequel est corrompu et inefficace. En réalité, tous les conseils ont recours au Mollah Omar pour qu’il les assiste. En réalité chaque province ou district a sa propre dynamique.
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