Complexes terres d'Islam
Paul François Paoli
L'historien Michel Abitbol voit dans la guerre du Rif le signe de la fin de la domination européenne au Maghreb.
Nous
sommes au Maroc, en 1925, et la guerre du Rif bat son plein, un conflit
dont on a oublié la violence. Depuis quatre ans, dans un territoire
montagneux qui longe l'Atlantique, un rebelle marocain du nom d'Abd
el-Krim tient tête aux puissances coloniales. Son nom est en train de
devenir une légende dans le monde arabo-musulman, car il a infligé aux
Espagnols une défaite cuisante. Le 9 août 1921, ce sont 12 000 soldats
espagnols qui ont trouvé la mort dans une embuscade, avec à leur tête
le général Sylvestre qui n'a trouvé d'autre issue que le suicide. Les
rebelles vont saisir 30 000 fusils et revolvers, 400 mitrailleuses,
plus de 200 canons, des millions de cartouches ! L'Espagne est humiliée
et la France qui a imposé son protectorat au Maroc depuis 1912,
stupéfaite. Le réveil est dur pour ceux qui croient à l'éternité de la
domination européenne. Certes, la révolte sera matée par le général
Primo de Rivera, chef du gouvernement espagnol. En usant de moyens
massifs, ils vont finir par vaincre Abd el-Krim qui sera envoyé en
captivité… à la Réunion ! Mais c'est une victoire à la Pyrrhus et les
Marocains ont désormais leur héros. Parmi les Français, un homme
est plus lucide que d'autres : Hubert Lyautey, maréchal de France,
résident général du protectorat français au Maroc. Lui qui dirige ce
pays dont il se targue de préserver l'identité musulmane sait que le
colonialisme n'est pas fait pour durer. « Il est à prévoir que dans un
temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord (…

se détachera de la
métropole, déclare-t-il à Rabat. Il faut qu'à ce moment-là - et ce doit
être le suprême but de notre politique -, cette séparation se fasse
sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner
avec affection vers la France. » Il ajoutait : « Je n'ai pas cessé
d'espérer créer entre ce peuple marocain et nous un état d'âme, une
amitié, qui font qu'il restera avec nous le plus longtemps possible…
C'est la pensée avec laquelle je vis, je veux me faire aimer de ce
peuple. » L'épisode est relaté par l'orientaliste Michel Abitbol
dans L'Histoire du Maroc qui met en évidence la complexité de la
présence européenne au Maghreb. Ce livre montre que ce que nous
appelons « coloniser » relève d'un ensemble de processus enchevêtrés.
Coloniser, c'est toujours dominer, mais toutes les dominations ne sont
pas exterminatrices ou spoliatrices. Qu'ont donc fait les Arabes, en
Afrique du Nord, sinon coloniser une région où vivaient des Berbères
qui revendiquent aujourd'hui encore leur spécificité ? Et pourquoi
l'ont-ils fait s'ils n'étaient convaincus de leur supériorité
civilisatrice ? Retraçant l'histoire du Maroc depuis ses prémices,
Abitbol nous rappelle quelle brillante civilisation a été l'Islam
andalou et maghrébin vers les XIe et XIIe siècles.
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/04/30/03005-20090430ARTFIG00353-complexes-terres-d-islam-.php