Les mariages homosexuels peuvent être justifiés par un raisonnement rawlsien concernant le contrat social au fondement de la société.
Les acteurs dans la position originelle dont parle Rawls dans "Théorie de la justice" ne connaissent pas leur orientation sexuelle à cause du voile d'ignorance et vont donc éviter dans la mesure du possible de se mettre d'accord sur des lois discriminatoires contre les homosexuels. Du moins dans la supposition, facilement concédée en général, que la possibilité d'avoir un partenaire amoureux est un bien humain de base.
La chose est différente pour les "incestueux" : non seulement les désirs incestueux ne sont pas réellement une orientation sexuelle, mais en plus je doute qu'ils soient un signe de santé mentale, sans parler de l'effet perturbateur à prévoir sur la dynamique concrète des relations familiales (même dans le cas "idéal" où l'inceste se produirait entre adultes...).
La chose est aussi différente pour les pédophiles : peut-être existe-t-il des préférences exclusives pour les enfants, donc quelque chose d'aussi rigide qu'une orientation sexuelle, chez certains, mais le droit des enfants à l'intégrité physique et psychologique ne peut pas être sacrifié au nom des désirs pervers des pédophiles.
Quant à la polygamie, qui généralement est de la polygynie, cela viole le principe de base de l'égalité des sexes, également justifiable par le contrat social (le voile d'ignorance empêche de connaître son sexe à l'avance).
Il y a une raison supplémentaire de rejeter la polygynie : en admettant une tendance chez les riches et les puissants de se constituer de grands harems, et cela a été maintes fois documenté dans les régimes monarchiques et autoritaires, les jeunes mecs des classes inférieures qui sont ainsi privés de la possibilité de trouver une partenaire sont plus à risque de comportements criminels et déviants. À travers le monde, les régions où la polygamie (surtout polygynie) est permise ne sont pas les plus sécuritaires (bien que d'autres facteurs soient en jeu).
Salam Aleykoum
Je trouve cette utopie Rawlisienne très intéressante sur le principe et je dois avouer qu'elle m'a bien fait réfléchir.
Je vais tenter de te répondre, même si c'est hors sujet dans le sens où le débat ne porte pas sur le fait de justifier, dans l'absolu, l'homosexualité (ce que n'importe qui est capable et en légitimité de faire : "parce que je n'aime pas"; "parce que cela ne fait pas partie de ma culture"; "parce que ma religion l'interdit" etc...), mais plutôt sur le fait de remettre en question la pertinence de la logique argumentaire utilisée en France pour légaliser cette pratique.
Immergeons-nous dans une société où la position originelle se situerait à la base de l'édiction des lois. L'homosexualité serait-elle irrémédiablement légalisée ? Pas sûre de mon point de vue.
Tout d'abord, l'on peut noter que les acteurs, derrière leur voile d'ignorance, auront néanmoins conscience du bien et du mal et plus particulièrement de la morale. C'est ainsi qu'ils tenteront de favoriser, de par les lois qu'ils formuleront, les pauvres vis-à-vis des plus fortunés.
En conséquence, l'on peut noter dans leurs intentions la volonté de réparer les "torts" causés par la vie par des mesures "positivement discriminatoires". La morale imprégnera donc les décisions des acteurs lorsqu'il s'agira de dire le droit.
Mais en ce qui concerne la légalisation de l'homosexualité telle que tu la conçois dans la position originelle, il semblerait que, là, l'utilitarisme se soit substitué à la morale. En effet, tu énonces que la légalisation interviendrait nécessairement du fait que les acteurs seraient, peut-être, épris de désirs homosexuels et que, pour ne pas se brider, ils seraient forcés de l'autoriser.
Les acteurs tenteraient ainsi de maximiser le bien-être global de l'ensemble des êtres sensibles sans se préoccuper de la moralité de la mesure qu'ils appliqueront (un peu contradictoire pour une personne, en l'occurrence Rawls, qui souhaite combattre l'utilitarisme). En effet, ils excluraient, dans cette optique, de leur analyse le côté moral pour ne se concentrer, ici, que sur les gains maximums escomptés.
Boudon divisait la rationalité en trois types : Rationalité instrumentale = fait d'effectuer une action en calculant uniquement les conséquences en bien et en mal que cela aura (tourner la tête avant de traverser). Rationalité axiologique = fait d'effectuer une action en fonction de convictions morales et/ou religieuses (donner de l'argent à un pauvre). Rationalité cognitive = fait d'effectuer une action sur la base d'une émotion, d'un affect (frapper quelqu'un qui nous insulte).
En l'occurrence, ici, seule la rationalité instrumentale serait effective tandis que les autres formes de rationalité seraient absentes (là où dans toutes les décisions au moins 2 de ces 3 formes de rationalité devraient être mises à l'oeuvre). Ce qui n'est pas le cas pourtant lorsque les acteurs tentent de définir des mesures discriminatoires afin de favoriser le pauvre où, là, la morale est au coeur de leurs décisions.
Comment se fait-il que, dans le cas de l'homosexualité, les acteurs ne se penchent pas sur la moralité de cette pratique pour l'éluder au profit de la possibilité de pouvoir satisfaire un maximum de désirs (quels qu'en soient la teneur). Je suis pourtant sûre qu'ils n'autoriseraient pas la zoophilie pour des considérations morales bien qu'ils ne pourront pas savoir, derrière leur voile d'ignorance, s'ils pourraient avoir de telles "orientations" ou "désirs" fugaces.
Pour ce qui est de l'inceste. Je ne vois pas en quoi l'on peut concevoir qu'il est légitime de proscrire ce qui ne relève pas de l'orientation sexuelle (mais juste d'un désir). Quant aux effets perturbateurs, cela est parfaitement subjectif et donc propre à chacun. Ainsi, rien ne permet d'interdire légitimement l'inceste dans la position originelle si l'on tente, un tant soit peu, de sortir de la subjectivité inhérente à sa propre personne.
Pour ce qui est de la polygamie. Je ne vois pas non plus en quoi ce serait une inégalité intolérable et qui nécessiterait une interdiction. Le riche qui s'habille en costume est inégal par rapport au pauvre habillé de loques. La femme avec des longs cheveux est inégale par rapport à l'homme à la calvitie. Le propriétaire terrien est inégal par rapport au locataire. Le possesseur de plusieurs voitures est inégal par rapport à celui qui n'en a pas etc....
Toute inégalité n'est pas illégitime et il en est ainsi qu'à partir du moment où le consentement est présent, nous n'avons pas (dans cette logique) à proscrire des relations basées sur des rapports asymétriques consentis (de la même façon que nous ne pouvons obliger les femmes à s'habiller de la même façon car il y aurait une inégalité des sexes manifeste lorsque certaines femmes choisiraient de "trop se couvrir" par rapport aux hommes).
Au final. Cette utopie, qui ne répond d'ailleurs pas à l'interrogation portant sur l'incohérence de l'argumentation mise en oeuvre en France concernant cette pratique, ne permettrait pas d'interdire l'inceste et la polygamie (ni même la polyandrie par ailleurs) si l'on respectait à la lettre sa logique de mise en oeuvre.