J'ai lu la même chose dans beaucoup d'autres enquêtes. Et malgré son biais idéologique (plutôt anti-immigratio, anti-islam même ), Tribalat a plutôt raison : les jeunes sont plus pratiquants que les parents Mais son biais idéologique lui fait selon moi oublier plusieurs choses :
- D'abord, les mariages mixtes progressent (voir Emmanuel Todd et d'autres).
- Elle n'explique pas les causes de cette "'islamisation" des jeunes : est-ce dû à un "manque d'intégration" ou plutôt, contre toutes attentes, à un surcroît d'intégration justement ?
Les premières générations ont connu un islam plus culturel que religieux, pour le meilleur comme pour le pire, ou alors elles ont recu un islam "colonisé, qui se voulait discret, ce qui expliquerait qu'elles s'en sont logiquement éloignées.
Il me semble que les dernières générations ont pu bénéficier à l'inverse d'un capital social et culturel qui les a amené à prendre conscience et à s'interroger sur le passif historique de la France avec l'islam. C'est justement cette meilleure intégration qui la amené à revenir à l'islam ... C'est, à l'évidence, dur à avaler pour des gens qui pensent que la sécularisation est le seul idéal à poursuivre pour parler de réussite ...
Je me rappele à ce titre d'une phrase de Saïda Kada (grande militante du Mouvement pour l'Immigration et les Banlieues et co-auteure du célèbre livre "L'une voilée, l'autre pas" avec la fameuse juriste/sociologue Dounia Bouzar ) : à la fin des années 80, " (les jeunes) se sont réconciliés avec leur islam".
- L'article ne précise pas de quel islam on parle ? Dans le même ordre d'idées que ce que j'ai écrit plus haut, dans la majeure partie des cas, on a affaire à un islam qui est français de fait (y compris pour ceux qui portent des signes religieux, eh oui).
Je dirais même que ça va, dans la majeure partie des cas, de pair avec un islam non-seulement français mais aussi complétement acculturé (acculturé dans le sens : qui se veut plus français que la France, je n'insulte pas la France, entendons-nous bien), à 100% occidental, et dégagé du mode de vie/de la spiritualité qui devrait aller avec, c'est-à-dire un mode de vie rejetant la société de consommation et le culte de l'ego, et nourri des apports de la civilisation arabo-islamique.
On entre là, à mon avis, dans une complexité que Michèle Tribalat ,e peut/se refuse à étudier, mais il faut dire que même les jeunes musulmans n'en ont pas conscience. Moi-même, je ne m'en suis rendue compte que très récemment, et j'ai pris une fameuse claque, moi qui me targuait d'avoir une réelle double culture (même si pour moi c'était à améliorer) : que nenni; on est loin du compte .Notre islam, est, dans la majeure partie des cas, à 100 % occidental, dans ce que ça a ce bénéfique, mais aussi de mauvais (comme dit plus haut, société de consommation etc.). L'apport arabo-islamique n'est que folklore, même quand on parle la langue arabe ou qu'on souhaite l'apprendre ainsi que la culture qui va avec.
Ce qui est bien, par contre, c'est que dans le cas de tous ces jeunes musulmans, qui selon moi, se sont en fait réconciliés avec leur islam, pour reprendre la formule de S. Kada, on a un islam français, voire acculturé, mais il y'a par contre vrai un contenu idéologique qui va avec : rejet de la vieille idéologie coloniale, rejet du terrorisme, attachements aux libertés fondamentale, et tout ça ne peut faire que du bien à l'islam dans le monde et en France.
Je reprends là la thèse qui semble développée dans l'Islam des Jeunes d précurseur Farad Khosrokhavar (c'est un livre que je dois encore lire) :
Témoin de cette double identité, française et musulmane, le foulard. Loin de marquer une volonté de rompre avec la République, il offre souvent aux jeunes filles qui le portent une occasion de se soustraire à la coercition d'un milieu familial exerçant à leur encontre les restes d'une autorité en lambeaux. C'est à la rencontre de cet islam des jeunes que F. Khosrokhavar nous convie. Il ne s'agit pas ici d'un enjeu mineur. Sans remettre en cause les principes de l'Etat républicain, on doit voir aujourd'hui que ceux-ci sont, dans la réalité, remis en question par de nouvelles formes sociales. De notre capacité à tirer parti d'un dialogue avec ce nouvel islam dépendra la solidarité de notre tissu social, autrement soumise à une tension constante, et l'efficacité de la lutte contre le terrorisme.
- Finalement, le gros problème, ne réside pas dans cet islam imprécis dont parle M. Tribalat, il réside dans la capacité de la France à l'appréhender. Et force est de constater que la France préfèreait mourir plutôt que d'accepter que l'islam peut être positif. Elle rejette même l'islam majoritairement français d'aujourd'hui, d'abord par fierté arrigante, mais aussi parce qu'il remet justement en question une certaine République arrogante envers le Sud ...
Si ça ne change pas (même une certaine frange de la gauche est en train de se réveiller, de même qu'une bonne partie des verts) , le scénario-catastrophoe serait le suivant :
- Les jeunes musulmans salafistes vont se radicaliser dans leur marginalisation volontaire : ça ne veut pas dire qu'ils vont devenir violents, la plupart étant piétistes, mais ils commenceront de plus en plus à penser que l'islam n'est pas universel et ne peut se fondre en haromine dans et avec un pays occidental, favorisant ainsi la thèse du choc des civlisations qui se retournra, à terme, contre l'islam.
- Les jeunes "d'origine musulmane" de banlieue qui sont dépersonnalisés, déracinés, exclus de la société et sans autre capital qu'un sentiment d'injustice légitime mais mal dirigé car sans assise sociale et culturelle, il faut craindre que la part des délinquants ou criminels parmi eux instrumentalise l'islam à des fins de vengeance personelle : on renforcerait alors les ultra-minoritaires Mohamed Merah (manipulé ou pas par la DCRI, c'était bien un jeune radical et c'est ce qui comptedans mon propos ici) ou autres Khaled Kelkal. Farad Khosrokhavar disait de ce jeune terroriste qui était aussi un pauvre égaré que son islam n'était qu'un maquillage à sa radicalité qui n'avait rien d'islamique.
- Par contre, la plupart des autres jeunes musulmans seront encore plus musulmans : par exemple, imaginons qu'on interdise/restreigne la vente de produits halal, les musulmans en profiteront justement pour se rappeler que l'islam est contre la société de consommation. Ce serait donc un mal pour un bien, qui ne ferait que renforcer l'islam, le vrai, l'islam noble, dans la plupart des cas.
Mais ça ne suffira toujours pas aux élites islamophobes, là est le problème, car leur aveuglement anti-islam les empêche de voir que les musulmans sont en réalité, les alliés auxquels ils refusent de tendre la main, et ces mêmes élites se focaliseront, pour se convaincre de la légitimité de leur refus rabique, sur les "radicaux" , qu'ils auront eux-mêmes crées ...
Comme je l'ai dit, c'est un scenario-catastrophe, hautement hypothétique (je l'espère en tout cas). Pour en revenir à M. Tribalat, j'en pense donc finalement qu'elle oublie plusieurs pans importants de l'analyse : une "montée" de l'islam, pour autant qu'il y'a vraiment une montée, équivaut pour elle à un manque d' "intégration", or c'est loin d'être aussi manichéen.
Elle sombre, elle aussi, dans le fantasme d'une politique multiculturalisme de la France, ce qui est complétement faux. La France n'a jamais eu de politique se voulant multiculturaliste , les Bretons peuvent en dire quelque chose, et les musulmans aussi bien sûr. La France a refusé de signer la charte de protection des langurs régionales, elle a aussi émis des réserves pour ce qui concerne le droit des enfants à avoir leur religion et à parler leur langue. La France croit qu'avoir une identité diverse signifie qu'on a pas d'identité. La France croit que l'universalisme signifie que tout le monde doit aspirer à parler et penser français. Ce n'est pas le multiculturalisme (qu'elle confond allégrément avec le commuanutarisme) qui la tuera et détruira la France : c'est sa propre arrogance.