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En 2012, vous avez ouvert à Vincennes la première mosquée dite « inclusive » (ouverte à tous, notamment aux homosexuels) d’Europe. Abdallah Zekri, à l’époque président de l’Observatoire national contre l’islamophobie, avait estimé que ce projet était « une aberration, parce que la religion ce n’est pas ça ». Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur s’était aussi prononcé contre. Avez-vous reçu des soutiens d’intellectuels de confession musulmane ?
Bien sûr, nous avons reçu beaucoup de soutien. Entre autres d’Abdennour Bidar en France, Asma Lamrabet au Maroc, Kecia Ali, professeur à l’université de Boston, Ani Zonneveld, présidente des musulmans progressistes nord-américains. Les recteurs des grandes mosquées institutionnelles sont pieds et poings liés avec des pouvoirs arabes qui, encore aujourd’hui, sont déstabilisés, on le voit en Algérie, parce que la population n’en peut plus. Ces gens-là sont la caution du fascisme vert. L’islam politique est là pour tenir le peuple. En Algérie, il y a une expression pour décrire cet islam politique : « La prière de celui qui se tient debout juste pour les fêtes et pour la prière du vendredi ». Aujourd’hui, cet islam politique se retourne contre ses défenseurs, car ils ont produit une génération qui a pris toute l’idéologie qu’ils leur avaient enseignée au pied de la lettre. Cet islam politique n’est ni la faute de l’Occident ni celle des musulmans. Il est né dans un contexte de panarabisme d’où viennent les gens qui ont condamné notre mosquée. Pour eux, la mosquée est un des centres du pouvoir.
Certaines voix, comme celle de Tariq Ramadan, assuraient que cette mosquée avait un côté extracommunautaire…
C’est ridicule. Ils sont les premiers à vous exclure et ils vous disent après que vous ne devez pas proposer d’alternative à leur pratique de l’islam.
Avez-vous constaté une évolution positive depuis ces dix, quinze dernières années?
Oui, c’est le jour et la nuit. Il y a dix ans, ce n’était pas possible d’être homosexuel et musulman. Aujourd’hui, on en discute. Les tenants actuels de l’islam ont compris, du moins en Europe, qu’ils devront s’adapter s’ils ne veulent pas disparaître. Je pense que ces institutions ont en eux les germes de leur disparition. On n’aura pas à faire grand-chose pour qu’elles s’effondrent d’elles-mêmes. Elles vont être de plus en plus déconnectées de la réalité que vivent les populations musulmanes, y compris en Egypte ou en Algérie, donc elles vont tomber.
Vous n’avez pas l’air inquiet.
On a reçu des menaces mais surtout des encouragements de la part de musulmans. Je suis optimiste, même s’il faut être prudent.
Dans votre livre, vous appelez à une « réforme dogmatique de l’islam ». Qu’entendez-vous par là ?
C’est ce qu’ont fait les juifs, c’est ce qu’ont fait les chrétiens 1400 ans après l’avènement du christianisme, c’est ce que sont en train de faire les musulmans. Des anthropologues disent qu’une civilisation se dogmatise 300 ans après son apparition et se réforme 1500 ans après son apparition. On ne sait pas exactement pourquoi, mais c’est un cycle naturel, organique. L’humanité est comme un être vivant. Cet organe qu’on appelle l’islam est en train de se réformer pour s’adapter. S’il ne le fait pas, il va disparaître. Au début, l’islam n’était pas une religion séparatiste. Il y avait un aspect œcuménique. Quand on voit les premiers versets du Coran à la Mecque, on se rend compte que les premiers musulmans essayaient vraiment de discuter. Ils discutaient de la Bible, de la Torah. Ils s’intéressaient avant tout au divin.