J'ai un texte de Marwan Muhammed qui me rappelle ton sujet
"Donc on va bien détendre l'atmosphère, parce que là, je vois trop de messages où ça pleurniche dans les chaumières:
Les meufs be like "Ouai pour le mariage c'est mort, tous les mecbiens sont soit pris, soit ils sont informaticiens à Bahawalpur. Et même pas en rêve mon père accepterait si un mecbien venait me khtob en urdu. A moins que je prépare un bon plan à base de scénario Bollywood en mode 't'as vu c'est comme dans le film de maman, là...' "
Les mecs be like "Frère, t'as tué le game. J'ai pas aimé comment t'as fait des généralités, même si j'avoue, c'est quand même un peu vrai. Du coup, moi qui essaie d'être un mecbien, mes chances de trouver une meufbien qui 1) cherche pas la maille 2) m'accepte même si j'ai pas fait Harvard sur Seine 3) me plaise, sont en train de se réduire comme les chances de Nadine Morano de recevoir la médaille Fields pour l'ensemble de son oeuvre..."
Du coup j'ai bien réfléchi et j'ai décidé de vous raconter une histoire qui va décomplexer tout le monde (mais alors VRAIMENT). C'est un peu long mais il y a (je crois) une morale à la fin.
Donc flashback. Ça se passe dans les années 90, à l'époque où les walkmans Aïwa cotaient plus que les iPhones X, où JoeyStarr ne faisait pas encore des bisous à la police et où le Wu Tang Clan était encore ceinture blanche de kung fu (spoiler: ils ont toujours pas passé la jaune).
Il faudrait que je publie des photos pour que tu comprennes pourquoi, dès cette époque, j'étais vacciné contre toute attaque en public. Ma mère m'avait tellement tapé l'affiche à base de cols roulés et de coupes de cheveux improbables (je crois que c'est en étudiant mes cheveux que des philosophes ont -ré- introduit le concept "d'extrême divergence"), sans parler des imitations de marques de chez Tati que même mes cousins du bled voulaient pas recycler...
À la fin, plutôt que de subir les vannes, j'ai commencé à les inventer et au bout d'un moment, j'ai appris à me défendre (aussi) avec des mots.
Bref, tellement émotif, tellement à la marge, tellement entier. Pour moi l'amitié, c'était à la vie à la mort. Sur les cahiers de texte en fin d'année, les gens se mettaient 3 mots hypocrites. Moi j'écrivais mes premiers textes.
Inutile de dire que ma façon d'être ne collait pas à ce qui plaisait aux filles de mon age. À 17 ans, ma relation avec la gente féminine se résumait aux faits suivants:
- En 5ème, j'ai expliqué à une meuf relou qui avait des seins disproportionnés (sic) que c'était une source de cancer du cerveau, si ça n'était pas traité par des massages cardiaques réguliers. Elle m'a cru. J'ai pas poussé mon avantage. Depuis elle s'est mariée avec un flic fan de Johnny. J'ai dit cheh.
- En 4ème, j'ai dit à Catharina que je l'aimais. Elle a dit non. Je lui ai mis le ballon dans la tronche à la balle au prisonnier. Elle m'a smashé la tronche au badminton. Quelques mois après, elle a commencé à avoir une acné de dingue (genre #TeamBiactol), avec des boutons qui remettaient complètement en cause l'idée selon laquelle les dommages de Tchernobyl s'étaient arrêtés à la frontière. J'ai dit cheh. La semaine d'après je me suis pété la jambe. Elle a dit cheh. J'ai dit "Rapproche ta tronche, faut que j'appelle les urgences..."
- En 3ème, en colonie de vacances, j'ai tout misé sur Georgia. Qu'est-ce qu'elle était belle. On se comprenait sur tout, on rigolait tout le temps. J'ai pris le temps, j'ai tout fait bien. À la fin, je suis parti dans une longue tirade sur le fait qu'elle était noire et moi arabe mais que ça devait pas nous empêcher d'être heureux jusqu'à la fin des temps. Elle m'a dit "Non c'est sûr, on peut être amis pour la vie. Et j'ai aucun problème avec les arabes". Elle venait de commencer à sortir avec Salah, mon meilleur ami. J'ai dit cheh ; pour moi.
Donc on peut globalement dire que c'était pas concluant. Mais j'en riais, sans vraiment comprendre ce qui clochait. Jusqu'à mes 17 ans.
Tout le temps que je ne passais pas avec les filles, je le passais, au choix:
- à revoir en boucle Batman avec mon petit frère, en répétant les dialogues jusqu'à pouvoir faire tout le film sans le son
- à jouer à la console (vas y, ramène ta NES et ta Master System pour voir. Tu. Peux. Juste. Pas. Test.)
- à écouter des disques et à enregistrer des mixtapes.
Je connaissais tout par coeur, même les moments où Shurik'n et Chill reprenaient leur respiration sur "la tension monte", ou bien la seconde à laquelle Method Man faisait semblant de recevoir un appel dans le clip de C.R.E.A.M ou encore ce que Biggie Smalls disait dans sa première interview sur Yo MTV Raps...