Néanmoins, du haut de mes 86 ans, j'ai besoin de vous avouer, le cœur serré, que j'ai peur pour l'avenir de notre cher pays.
J'ai peur tout d'abord pour l'unité de la nation. L'approche sécuritaire des questions politiques, le recours au clientélisme pour résoudre les problèmes sociaux, les réponses partielles et erratiques à des demandes de réformes profondes et structurelles vont aboutir au délitement du lien collectif et à l'affaiblissement de l'appartenance nationale. Quand le pays devient « clément et miséricordieux » à l'égard des uns et « ingrat et oublieux » envers d'autres, il faut alors s'inquiéter pour son avenir car les ignorés et les laissés-pour-compte sont majoritaires au Maroc.
Je crains que les élites appartenant à des générations précédentes qui sont au pouvoir au sein des partis politiques, des associations, des médias et des universités, ne soient prisonnières de leur résignation devant « l'état actuel des choses ». Ces élites qui justifient l'inertie, la passivité ou qui font mine de regretter l'absence d'une force réelle de changement.
Pendant longtemps, les privilégiés et les détenteurs du pouvoir au sein de l'Etat ont profité du fatalisme des élites appartenant aux générations précédentes, y compris la mienne.
J'ai peur que les forces de corruption ne mobilisent et rallient les opportunistes qui profitent de la situation actuelle du pays, pour attaquer votre mouvement, avec leurs écrits, leurs émissions à la télévision, et par d'autres moyens dont ils disposent.
Il y a bien sûr des gens qui attendent que votre mouvement s'essouffle, que la flamme que vous avez rallumée s'éteigne, mais il y a surtout les corrompus qui n'hésiteront pas à saper et à détruire tout ce qui est glorieux et beau chez notre peuple. Ils sont comme les chauves-souris : ils redoutent la clarté de la lumière et ne peuvent vivre et s'épanouir que dans l'obscurité.
Mais malgré mes craintes de vieil homme, entretenant toujours de beaux et grands espoirs pour le peuple marocain, je demeure optimiste. Votre jeunesse, votre enthousiasme, votre persévérance, enfants du Maroc de demain, dissiperont toutes les craintes et vaincront les forces de la corruption et de l'injustice. Vous aller réussir face aux manœuvres des corrompus et les tergiversations des indécis.
Vos revendications sont justes et légitimes, et notamment la demande d' « une monarchie parlementaire » qui pourrait trouver un écho favorable auprès du roi, responsable de l'unité du pays et de la sécurité du peuple.
Je vous salue, jeunes du Maroc, « fondateurs de la citoyenneté », en vous exprimant mon respect, ma fierté et mon admiration. Vous êtes le peuple et ce pays est le vôtre, guidez-le vers le chemin de l'action et dirigez-le vers l'espoir.
Mohammed Bensaîd Ait Idder
Résistant et membre fondateur de l'Armée de libération.
Militant et membre fondateur de la gauche au Maroc.
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