INTERVIEW - Leila Minano et Julia Pascual évoquent dans «La guerre invisible», qui paraît ce jeudi, les violences sexuelles qui existent dans l’armée française...
L’armée française est la plus féminisée d’Europe, avec près de 15% de femmes sur 230.000 engagés. Et pourtant, les violences sexuelles sont minimisées, voire occultées par la hiérarchie et le politique. Les deux journalistes Leila Minano et Julia Pascual lèvent le voile sur ce tabou avec leur livre
Pourquoi y a-t-il un déni face aux violences sexuelles dans l’armée française?
Julia Pascual: Il y a tout d’abord un énorme décalage par rapport à ce qui se fait à l’étranger. En Grande-Bretagne, en Allemagne, ou Suède ou aux Etats-Unis, il y a eu une prise de conscience des violences sexuelles à l’encontre des femmes militaires, avec des travaux menés, des statistiques. En France, personne ne s’est penché sur la question. Et au cours de notre enquête, les portes se sont vite fermées au ministère de la Défense face à nos demandes d’interviews.
Leila Minano: Il y a une volonté de dissimuler. La violence sexuelle, c’est mauvais pour l’image, la carrière dans l’armée, donc on n’en parle pas. La hiérarchie regarde ailleurs, et ceux qui sont au contact de ces problèmes ne veulent pas faire de vagues. Au niveau politique, ce n’est pas une priorité. Si depuis François Hollande, il existe un ministère aux Droits des femmes, on évite pourtant de parler des phénomènes gênants, comme le harcèlement sexuel, de brimades, d’agressions. Cela reste un non-sujet.
Pourquoi dites-vous que les femmes sont vues comme des intruses au sein de l’armée?
LM: La décision politique [de Jacques Chirac] de la professionnalisation et donc de l’arrivée plus importante des femmes dans l’armée a été un choc culturel. C’était une remise en cause d’un bastion masculin, mais qui n’a pas été préparée.
JP: Cette féminisation des armées n’a pas été traitée autrement que par la mise en place de sanitaires et chambrées séparés, d’uniformes adaptés aux femmes… Aujourd’hui, l’armée a des besoins importants et elle ne peut se passer des femmes, mais dès le recrutement on les décourage, on les dirige vers les services administratifs et la santé, jamais vers des postes à l’avant. Ce qui veut dire que l’on ne les voit toujours pas dans le cœur du métier de soldat.
Vous évoquez des agresseurs condamnés, mais qui sont gardés en poste dans l’armée…
LM: On a plusieurs exemples. Dans votre entreprise, si votre collègue est condamné pour agression sexuelle, c’est une faute professionnelle, il prendra la porte. Dans l’armée, non. Cela crée un sentiment d’impunité chez certains.
Que faudrait-il pour changer les esprits au sein de l’armée?
LM: Il faut une prise de conscience générale. La question mériterait une commission parlementaire. Ensuite, le changement passera par l’encadrement, des outils de prévention et des sanctions efficaces. Aujourd’hui, la notion de harcèlement sexuel n’est même pas inscrite dans le Code de la Défense... Mais on peut renverser la balance, comme le montre des politiques menées dans plusieurs pays.
Propos recueillis par Anne-Laëtitia Béraud