Beaucoup de souvenirs pour moi... je commencerai peut-être par un épisode, celui grâce auquel j'ai compris que j'étais une fille d'immigrés. Ce souvenir a gardé une étonnante vivacité dans ma mémoire malgré le temps qui s'est écoulé depuis.
J'avais alors 4 ans, et j'avoue que je ne me posais pas beaucoup de questions sur certaines particularités comme le fait que je parlais arabe avec mes parents alors que les autres enfants non, ou qu'on me demandait d'où je venais, ne comprenant pas que par là on sous-entendait de quel pays j'étais originaire. J'étais gamine parmis les gamins et c'est tout.
De par la fonction qu'occupait mon père à l'époque, garde de nuit dans un palace luxueux, nous étions logés dans un habitat de fonction à proximité, dans un village chic et loin de la grande ville (je sais que ca fait doucement rire les Parisiens de parler de Genève comme d'une grande ville mais c'est comme ça que je la voyais
![Clin d'oeil ;) ;)](data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7)
). Bien entendu dans cette petite bourgade, il y avait surtout des familles riches, suisses depuis des générations.
Je fréquentais l'école du village, profitais de la cour de récréation avec mes ami(e)s. Un jour une fille de ma classe organisa son anniversaire, elle y invita toutes les petites filles de la classe. Joyeuse après-midi, bon gâteau, parents réjouis. Quelques jours plus tard la mère de la fille croise ma mère à la sortie des classes et lui donne une photo qu'elle a prise à l'anniversaire. Une très jolie photo où j'apparais en compagnie de quelques autres petites filles. Ma mère, très heureuse, me la montre, et là.......... j'éclate en sanglots. il a fallu 10 bonnes minutes à ma mère pour me faire avouer le motif de mon désarroi: j'étais la seule petite fille noiraude de la photo, peau sombre, cheveux sombres et bouclés, entourée de filles aux joues roses et toutes, absolument toutes, aux cheveux blonds et lisses.
Ma honteuse différence apparraissait au grand jour, et elle s'imposait à moi, moi qui ne m'en étais jamais rendu compte. Je répétais plusieurs fois à ma mère "pourquoi elles sont blondes et moi je suis foncée????". Ma mère, m'a alors dit, sur un ton que je n'oublierai jamais, emprunt d'une grande inquiétude, sûrement ne sachant pas quelle attitude adopter "Mais qu'est-ce que tu veux? Tu veux devenir blonde?"
A ce moment je me suis sentie envahie d'une grande perplexité. Je me rendais compte que je ne voulais pas être blonde parce que si j'étais blonde je n'étais plus moi, mais qu'en même temps je me sentais mal d'être pas comme les autres filles. Je ne trouvais pas de solution à la situation, mais en tout cas mes larmes avaient cessé sur le champ de couler.
et voilà comment la zmagriya que je suis est née ce jour-là
Salaam,
je suis un peu nostalgique en ce moment. Du coup, je fais ressurgir tous les bons souvenirs enfouis dans ma mémoire.
Or, je remarque que beaucoup sont liés à ma "zmagritude" et sont relativement différents de ceux de mes collègues, camarades franco-francais ou autres ("jolies colonies de vacances", "scoutisme", etc.).
Voici un exemple: un souvenir a ressurgi par hasard dernièrement... celui des inscriptions gravées au coûteau sur la porte des toilettes ou des douches des aires de repos espagnoles (celle sur lesquelles s'arrêtent les zmagris sur la route du bled), du genre: "Tawfiq, 9-5 en force", ou bien "Big up pour Bourg en Braisse" ou encore: "Mohamed-Amine, 8/07/2005".
Bref... je me suis d'abord dit: "les petits ****... ils ne savent vraiment pas ce qu'ils font"... Mais cela m'a amené à d'autres réflexions: j'ai pensé qu'une telle image ne se cacherait certainement pas au fond de l'inconscient d'un Francais moyen (ou d'un Marocain)... et que c'était un souvenir très spécifique. Une de ces images qui font mon (notre?) identité à nous les enfants d'immigrés.
J'ai ensuite repensé à mon père qui ouvrait toujours le "capot" (ca s'écrit comme ca?) de la voiture, à chaque arrêt et qui faisait le guêt (il ne s'éloignait jamais bcp de sa voiture), souvent en discutant avec les autres "darons" qui eux aussi se reposait en même temps que nous, pendant que ma mère sortait la nourriture du coffre... etc.
Voilà: ce types d'images, de sensations qui ressurgissent parfois sont sûrement très spécifiques, propre à notre vécu d'enfants d'immigrés.
Et vous? qu'est ce qui fait vôtre identité? quels sont vos plus beaux souvenirs? sont-ils liés à cette histoire commune?
Avez-vous l'impression de former une communauté spécifique?
(PS: sans nier bien-sûr qu'une grande partie de notre vécu est semblable à celui de nos concitoyens Francais de souche ou de nos cousins Marocains.)