Professeur à l’Antony’s College à Oxford, l’intellectuel musulman genevois Tariq Ramadan réagit au vote sur les minarets.
Les Suisses ont dit oui à l’interdiction des minarets. Surpris ?
Choqué. Ce oui à 57% dénote une vraie méfiance envers l’islam. L’UDC est parvenue à faire passer le minaret pour le symbole d’une religion étrangère à la culture suisse et liée à l’immigration, symbole aussi d’une religion qui serait incompatible avec les valeurs de la démocratie.
Le résultat aurait-il été différent aux Pays-Bas, en France ou en Allemagne?
Contrairement à ce que j’espérais, il n’y a pas de spécificité suisse en matière de peur de l’islam. Dans chaque pays, un élément de visibilité – le foulard, les minarets – déclenche l’expression d’un sentiment populaire de peur. Cette peur doit certes être respectée. Je crains toutefois qu’elle ne vire à la xénophobie et au racisme.
Ce oui à l’interdiction des minarets n’est-il pas une mise en demeure des musulmans?
Beaucoup d’entre eux m’ont dit qu’entrer dans le débat revenait à se mettre sur la défensive. Et, en tant que musulmans, ils ne se sentaient pas pleinement considérés comme Suisses. Je pense au contraire que les Suisses musulmans doivent désormais prendre la parole dans le débat public, et pas seulement sur les sujets qui concernent leur foi. A eux de montrer qu’ils sont des citoyens liés à la destinée de ce pays. Leur responsabilité est énorme, ils doivent l’entendre.
Les musulmans de Suisse ne doivent-ils pas supprimer les signes distinctifs?
L’UDC aimerait effectivement qu’ils fassent profil bas. Mais les musulmans ne doivent pas se faire invisibles; ils doivent au contraire chercher une visibilité éducative et constructive, parler, expliquer. D’ailleurs, si l’invisibilité était la solution, l’initiative n’aurait pas rallié 57% des voix, car je rappelle qu’il n’y a que quatre minarets en Suisse! Quant à la communauté musulmane, elle est composée dans sa grande majorité d’Albanais et de Turcs, qui ne se distinguent pas. C’est signe que c’est bien la présence musulmane en Suisse qui pose problème.
Une syndique fribourgeoise veut interdire de voile deux écolières de 8 et 11 ans. Après le vote d’hier, devraient-elles l’enlever d’elles-mêmes?
Aux parents, je rappellerai que les préceptes de l’islam commandent le port du voile à l’âge de la puberté tout en laissant le choix aux enfants. Pour le reste, à l’école, c’est le dialogue qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui en Suisse. Le vote sur les minarets ne doit pas réduire les droits accordés aux musulmans, et surtout pas leur liberté de conscience.
Serge Gumy