J'ai habité dans plusieurs pays, j'ai immigré plusieurs fois.
Il y a des aspects qui m'ont plu et d'autres qui m'ont déplu partout où je suis passée.
Voici quelques-uns des aspects qui m'ont plu au Québec.
mes voisins étaient
a) à gauche, montréalais de souche
b) à droite, gaspésiens de souche
c) en arrière, italiens de souche
d) en oblique, chinois de souche
e) un peu plus loin, américain et canadien de souche
f) encore un peu plus loin dans la ruelle, algérienne de souche
g) en haut des Algériens, une femme afghano-française de souche
h) 4 maisons à droite, haïtienne et québécois de souche
mais ils se sentaient tous appartenir au Québec, ils se disaient tous du Québec, ils étaient tous québécois.
nous organisions chaque été des repas en plein air, dans la ruelle, sur de grands tréteaux, l'Italien parlait italien et anglais et mon anglais à l'époque laissait à désirer (je n'ose rien dire de mon italien...)mais ses tomates étaient divines, l'Haïtienne cuisinait très bien, l'Afghane, une femme de grande culture, était toujours très timide, tous nos enfants jouaient au hockey ensemble et jamais, jamais un d'entre eux n'a insulté un autre.
Je ne l'ai jamais entendu...
Aussi, ma maison a toujours été grande ouverte et chaque enfant pouvait venir chez moi après l'école, si ses parents travaillaient tard, car je travaillais à la maison.
les enfants ont souvent organisé des soirées-pyjama chez les uns ou les autres, il y avait 17 enfants dans notre ruelle, entre 3 et 14 ans, de tous horizons, de plusieurs langues, et tous fanas, hélas pour moi qui déteste cela!, de hockey.
mais même nos invités toulousains ont organisé des joutes mémorables avec les petits.
Ce que j'ai aussi aimé là-bas, c'est que le petit copain de mes enfants vivait une situation familiale pas banale et qu'il n'a jamais été ostracisé pour cela et qu'il n'a subi aucune moquerie, aucune remarque à ce propos. Il vivait avec sa mère et l'amoureuse de sa mère, et l'acceptation de sa vie et de la vie de ces femmes était réelle, pas juste "tolérée", mais réelle.
J'ai aimé aussi qu'un jour quelqu'un sonne chez moi et me dise : je vous entends souvent avec vos enfants et je voulais vous dire combien je trouve vos enfants bien éduqués, et combien je vois tout votre travail.
Cela, c'était tout un compliment pour moi.
Et on avait pris la peine de venir me le dire.
mon voisin québécois m'a dit un jour : tiens, je donne à tes petits une vieille batte de base-ball en bois, pour qu'ils jouent avec autre chose que du plastique. Mes enfants étaient fiers comme tout, tu parles, une vraie batte!
sa femme ouvrait ses fenêtres quand elle jouait du piano, parce qu'elle savait combien j'aimais cela.
J'ai aussi aimé que lorsque je suis arrivée là-bas, une voisine lointaine a envoyé sa fille nous apporter un plat de poisson, se disant que nous n'aurions sûrement pas le temps de cuisiner avec les cartons, les enfants, etc.
J'ai retenu la leçon de vie de ma voisine, mère d'un enfant gravement malade qui avait subi plusieurs opérations au coeur et qui était atteint d'un retard mental par faute médicale, m'a dit : je n'en peux plus de la vie, c'est trop dur, je voudrais retourner dans ma Gaspésie natale, mais les hôpitaux sont ici et qui m'a parlé de son fils, de la vie qui l'attendait quand elle, elle mourrait...... et moi qui ne pouvais lui offrir que mon oreille, un café... je n'avais que mon impuissance à lui offrir, et elle, elle me montrait combien il fallait s'accrocher parfois. Je n'ai plus jamais regardé mes enfants de la même façon après...
Un jour, elle est venue chez moi, je l'ai aidée à refaire son curriculum vitae, à penser à une lettre de motivation, et elle a pu trouver enfin un emploi à temps partiel, et c'tait une tel bonheur pour elle. Elel ne le sait pas, mais moi, je sais que c'est elle qui m'a fait un cadeau.
Mon voisin italien a perdu son jeune fils de 12 ans, mort écrasé par un chauffard, et j'ai aimé voir la réelle bonté de ses yeux quand il regardait mes enfants et ses petits-enfants essayer de jouer ensemble sans se comprendre (ils ne parlaient pas la même langue).
J'ai aimé qu'au dépanneur du coin le vendeur me dise : d'où vient votre accent? je le lui explique... et il me dit : je m'ennuie de mon Algérie... et je lui ai dit : venez prendre un café chez nous après le boulot... et il est venu sans autre.
J'ai aimé qu'à la bibliothèque un homme, une femme et un petit garçon voient le livre que je lisais et me demandent de leur en parler, car je riais et cela leur semblait drôle...
J'aimais bien que ma voisine me donne les vêtements trop petits pour ses enfants... et quand les miens avaient terminé de les porter, je les passais à une autre dont les enfants étaient un peu plus jeunes... Il y en a eu, des enfants, dans cette ruelle-là, qui ont porté les mêmes pulls, les mêmes manteaux d'hiver, jusqu'aux même pyjamas!
Et moi, quand j'allais à Rougemont cueillir des pommes avec ma famille, j'en rapporais des sacs pleins que jje distribuais à gauche et à droite...
C'est vrai, l'hiver est rude
c'est vrai, les Québécois ont peu eu accès aux études par le passé, et certains sont fermés, ont peur de l'étranger, car ils le connaissent mal... C'est vrai, ils peuvent être assez ignorants ... et ils ont tellement peur qu'on le leur reproche qu'ils se drapent dans uen fierté mal placée...
c'est vrai, c'est un peuple inquiet, qui a subi la colonisation, qui n'a eu que récemment accès à des postes plus payants, plus valorisants, et qui donc vacille quand il doit parler de son identité : doit-il protéger ce qu'il est et ce qu'on a tenté de lui interdire d'être? doit-il l'oublier et accepter tous les autres? comment consolider sa fragile identité et son histoire et s'ouvrir aux autres? comment? comment vivre ce double regard?
cela prend du temps pour guérir d'une blessure de colonisation.
Je le sais, je l'ai vu au Maroc, quand j'y habitais.
Je trouve que les Marocains et les Québécois se ressemblent sur quelques points : de forts sentiments de supériorité (fondés sur rien de tangible) mêlés à de forts sentiment d'infériorité (fondés sur une histoire de colonisation).
C'est souvent le propre de gens colonisés.
C'est une erreur de croire qu'une histoire s'efface en une génération.
Voilà un autre regard sur le Québec.
il n'est pas mieux, pas pire que d'autres. C'est le mien.
il aidera peut-être certaines personnes à faire ou non le choix de l'immigration.
mais une chose est importante : chaque fois que je ne suis pas parvenue à être bien quelque part, j'ai toujours su que c'était parce que cette fois-là, dans ma vie, dans ces moments-là, pour X ou Y raisons, je n'avais pas su ouvrir, MOI, ma porte, ma tête, etc. Souvent, par nostalgie, par peur.
car au Québec comme ailleurs, comme partout, j'ai des histoires où les gens m'ont touchée et à qui j'ai su faire une place dans ma tête.