Les salafistes tentent de dicter leur loi à Tunis
Après l'attaque, dimanche, contre une galerie d'art exposant des oeuvres « offensantes », ils ont saccagé plusieurs bâtiments publics de la capitale. Un couvre-feu a été imposé, hier soir.
Tunis. De notre correspondante
Quelques heures ont suffi pour semer la désolation au tribunal d'Essijoumi. « Lundi soir, des barbus sont entrés dans le tribunal, raconte Yacine Marouani, un étudiant qui buvait son café de l'autre côté de la route. Les forces de l'ordre sont arrivées petit à petit. Des affrontements ont eu lieu jusqu'à 1 h. » Entre-temps, les portes avaient été découpées, les ordinateurs emportés, les bureaux incendiés.
Ce scénario s'est répété, toute la nuit, dans plusieurs quartiers de la capitale, jusqu'à la paisible banlieue nord. Les groupes d'assaillants mêlaient « des gens de la mouvance salafiste et des malfaiteurs », selon Khaled Tarrouche, le porte-parole du ministère de l'Intérieur. Bilan des troubles, une centaine de blessés, dont 65 policiers.
Durement réprimés sous le régime de Ben Ali, les partisans d'un retour à l'islam des origines sont de plus en plus visibles depuis la révolution. « Ils sont une petite dizaine de milliers, estime le politologue Slaheddine Jourchi. Mais ils attirent de nombreux jeunes désoeuvrés ».
Ennahda hausse le ton
Lundi soir, la police a procédé à des tirs de sommation. 162 personnes ont été interpellées en deux jours. Longtemps accusé de laxisme à l'égard des salafistes, le gouvernement, dominé par les islamistes d'Ennahda, a haussé le ton, fin mai, après le saccage de bars à Sidi Bouzid (centre) et de postes de police à Jendouba (nord). Une nouvelle étape semble franchie. Dénonçant des « actes terroristes », le gouvernement a imposé, hier soir, un couvre-feu, de 21 h à 5 h, à Tunis et dans d'autres villes.
La tension était montée, dimanche, quand des salafistes, accompagnés d'un avocat et d'un huissier, avaient fait irruption dans une galerie d'art de La Marsa, une banlieue huppée, et réclamé le retrait d'oeuvres « humiliantes pour les musulmans ». À la nuit tombée, ils étaient revenus lacérer des oeuvres.
À Essijoumi, certains habitants leur donnent presque raison. « Les artistes ont dépassé les limites, estime Yacine Marouani. Nous devons respecter le prophète. » Le groupe Ansar Al Charia, l'un des plus radicaux, a appelé à manifester vendredi contre les atteintes à la religion. Son chef, Seif Allah Ben Hassine, sorti de prison l'an dernier à la faveur d'une amnistie, a combattu en Afghanistan. Il figure sur une liste de l'Onu des personnes liées à Al-Qaida, dont le leader, l'Égyptien Ayman al Zawahiri, a accusé Ennahda, dimanche, d'avoir trahi l'islam.
Anouk LEDRAN.
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