(...) Il suffit de lire les propos sur les réseaux sociaux pour constater à quel point les personnes en mal de cris, de vengeance et surtout de défoulement mettent en pièce le « Much Loved », ses acteurs et son réalisateur. Ça ne sert à rien de préciser que toutes ces personnes qui vomissent leurs indignations n’ont pas vu le film. CRITIQUER LES FILMS SANS LES AVOIR VISIONNES, LES LIVRES SANS LES AVOIR LUS, LES IDÉES SANS LES AVOIR COMPRISES EST DEVENU NOTRE SPORT NATIONAL. Mais passons.
On me dira que les séquences qui ont été mises sur le Web suffisent à condamner leur auteur, que le langage cru qu’il a imposé aux acteurs/actrices porte atteinte à nos sacro-saintes valeurs marocaines. Laissez-moi rire ! Ces saintes-ni-touches en mal de jouissance, ces dévots de la 25ème heure, ces patriotes à la commande qui s’indignent chaque fois qu’on leur montre le bout d’un sein, prennent-ils la peine d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles lorsqu’ils se baladent sur les corniches de Tanger, de Casa ou d’Agadir ; sur les boulevards de Rabat, d’Oujda ou de Marrakech ? Savent-ils ce qui se passent dans les discos de notre si délicat royaume ? Dans les chambres cinq étoiles des palaces ou zéro étoile de certains villages, dans les millions de studios réservés aux passes… ? Sont-ils conscients du mensonge, de l’hypocrisie et de la supercherie dans lesquels ils vivent ? Bien sûr que oui ; mais en bons schizophrènes qu’ils sont, ils regardent ailleurs et, par tous les trous de leurs corps, expédient leur arsenal injurieux à chaque fois qu’un artiste crée quelque chose qui les dérange, qui crève leurs abcès pestilentiels, qui place le miroir devant eux afin qu’ils se regardent tels qu’ils sont et non pas tels qu’ils prétendent être.
(.....) L’art est la seule nation où cohabitent le sacré avec le profane, la dévotion avec le blasphème, le Bien avec le Mal. L’art est le véritable Eden. Pourquoi voulez-vous le convertir en Géhenne ? Qui vous a donné le droit de distribuer les cachets de la bénédiction, les hassanantes et les sayyiates ? Au nom de qui et de quoi vous vendez, au marché noir, les billets d’entrée au paradis aux uns et à l’enfer aux autres ? C’EST QUOI CETTE SOCIÉTÉ QUI A PEUR DE L’ART, DES ARTISTES, DE LA CRÉATION ? La société marocaine est malade; malade de ses contradictions, malade de ses peurs, malade de son ignorance, malade de ses dirigeants, malade de ses désillusions. La société marocaine refuse de se soigner car elle refuse de consulter ceux qui savent diagnostiquer ses maux : les artistes.
Il y a quelques années de cela, en 2008 exactement, j’avais accordé une interview au journal L’Économiste, et j’avais déclaré : « s’il y a un défaut qui caractérise la société marocaine, c’est bien la schizophrénie. » … Je ne savais pas que ce que je prenais pour une emphase allait se convertir en pléonasme.